Tout commence par le bruissement des feuilles, le bruit de l’eau, le chant des oiseaux, la nature vierge sans la main de l’homme au premier jour de sa création. Puis les cris, les paroles lancées, inquiètes hurlant leur désespoir face aux démons rouges surgis de la forêt sombre pour réclamer leur droit. Les trappeurs reculent, marée humaine en débandade, torrents de chair pris sous la colère d’un orage surgi du néant. Seuls quelques uns réussissent à embarquer, sauver leur peau et les peaux de la campagne dans ces terres vierges. Au cours d’une halte au cœur de la forêt où gisent les vieilles histoires de notre enfance, Hugh Glass, leur guide, survit à l’attaque furieuse d’une femelle ourse. L’hiver approche à grand pas, ses frémissements se font sentir dans l’air, bientôt la route sera coupée pour le retour.
Les Indiens traquent la troupe, ne leur laissant aucun répit. Glass, son fils, un jeune métis et deux autres trappeurs, l’immonde John Fitzgerald et Bridger, un jeune, attendront de meilleurs jours pour transporter le corps. Ils l’abandonneront si la mort emporte la partie. Fitzgerald pousse un peu les dés du destin et enterre la dépouille du guide, la laissant avec celle de son fils aux esprits de la nature. Ils remontent la piste pour rejoindre leurs compagnons, pressés par le temps aux sens propre et figuré. L’Ankou ne souhaite pas encore emporter le cadavre de Glass et laisse les esprits malins lui redonner vie. Première résurrection d’un Christ trahi, il y en aura d’autres sur la longue route qui conduit le revenant Hugh Glass vers l’objet de sa vengeance, les meurtriers de son fils.
Deux heures trente d’un immense plaisir, d’une extrême richesse pour revisiter à travers cette histoire, le temps des nos origines, du sauvage. C’est d’abord celui du singe debout affrontant la nature sauvage pour tracer son sillon jusqu'à nous. Comment affronter et survivre dans ce monde brut quand les arbres dressent leurs corps squelettiques vers le ciel. Survivre aux torrents furieux où le corps ballotté, brindille de chair, s’accroche à la survie, radeau d’illusions peut-être. L’enjeu c’est cet homme oscillant entre ses deux natures sauvage et civilisée. C’est d’abord le décor sans artifice. Il est filmé en lumière naturelle lui offrant ce grain minéral.
Il aurait été difficile d’éclairer les séquences pour plusieurs raisons. Le lieu inaccessible pour un matériel lourd, et l’image panoramique. Planquer l’éclairage dans un coin s’avérait difficile. C’est aussi un choix de laisser à cette histoire sa pleine conscience naturelle, paysage en lumière vraie, nuit éclairée au feu de bois, image tournée au crépuscule, et intérieur du fort à la bougie. Ce naturalisme nous rappel le cinéma russe ou mexicain. Elle peut aussi se voir dans l’esprit d’un Malick sans lumière ajoutée, l’onirisme en moins. C’est une poésie de l’essentiel, de l’origine, avant que la main humaine ne vienne pervertir le sens du monde. Chacun des personnages se confronte avec sa nature sauvage profonde. Pour Hugh Glass, c’est l’espace et ce qui rôde derrière, dans les ombres, à la marge, animaux ou humains.
Qui est le pire des prédateurs ? Ils croisent la route de deux autochtones, un Indien pawnee dont la femme a été tuée par les Sioux. Ce dernier refuse la vengeance. Elle appartient pour lui au Créateur. Il libère une jeune Indienne, objet sexuel de trappeurs canadiens. Elle se venge et se fond dans la nature, arbre par mi les arbres. C’est la quête d’un père à la recherche de sa fille kidnappée, happée par la civilisation qui arrive aux portes de cet Eden. Derrière le silence, l’âpreté de la nature, c’est tout le conflit entre ce monde où Henry David Thoreau préconisait le retour à notre nature profonde. C’est à dire loin de ce que porte John Fitzgerald, les germes de notre civilisation dite moderne, gangrenée par l’individualisme, l’appât du gain, l’exploitation des ressources et le non respect de la nature, le refus de la différence, la peur de l’autre. C’est aussi l’origine d’un monde vierge où pour la première fois l’homme blanc pervertit l’espace.
La séquence du début voit débarquer une nouvelle civilisation et déjà elle se refuse à comprendre l’autre. C’est l’éveil, la pierre philosophale de l’alchimiste et ses quatre éléments, air, feu, eau, terre, le Graal des chevaliers de la Table ronde, avec un seul et même but, modifier notre esprit. C’est peut être toucher sa nature profonde, ne plus faire qu’un avec le monde qui l’entoure. Hugh Glass le comprend, sa survie passe par sa place dans le monde et non hors de celui-ci. The Revenant porte bien son nom, par quatre fois il renaît en passant par l’animal, la peau de l’ourse, la panse du cheval, la chute avec la jument. Nous remarquerons que ce sont des femelles, peut-être cette idée de la société matriarcale des débuts ou de la naissance, la quatrième survie étant l’eau du torrent. Il jaillit de l’intérieur de la jument comme un bébé du ventre béni. Le point de vue change suivant que nous regardons le récit, de Glass, de Fitzgerald, des trappeurs ou des Indiens.
Dans une séquence, un panneau accroché sur un Indien pendu, « nous sommes tous des sauvages », en dit long sur l’une des métaphores du film. C’est bien la l’un des sens profonds de The Revenant. A qui s’adresse cette phrase ? Qui la fera sienne pour réfléchir à sa place au sein du monde ? Vous le voyez, il contient beaucoup plus qu’une simple balade de survie comme le pensent certains, une longue réflexion sur hier, aujourd’hui et ce que nous ferons de demain.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus:
la copie digitale au format Digital HD
Documentaire (45')
Galerie de photos
Titre original : The Revenant
Réalisation : Alejandro González Iñárritu
Scénario : Alejandro González Iñárritu et Mark L. Smith, d'après Le Revenant de Michael Punke
Direction artistique : Jack Fisk
Décors : Michael Diner
Costumes : Jacqueline West
Photographie : Emmanuel Lubezki
Montage : Stephen Mirrione
Musique : Ryuichi Sakamoto, Alva Noto et Bryce Dessner
Production : Megan Ellison, Steve Golin, Alejandro González Iñárritu, David Kanter, Arnon Milchan, Keith Redmon et James W. Skotchdopole
Sociétés de production : Anonymous Content, New Regency Pictures1 et RatPac Entertainment
Société de distribution : 20th Century Fox1
Pays d’origine : États-Unis
Langue originale : anglais
Format : couleur - 35 mm - 2,35:1 - son Dolby numérique
Genre : western, thriller
Durée : 156 minutes
Dates de sortie : 24 février 2016 Interdit aux moins de 12 ans
Distribution
Leonardo DiCaprio (VF : Damien Witecka ; VQ : Patrice Dubois) : Hugh Glass
Tom Hardy (VF : Jérémie Covillault ; VQ : Paul Sarrasin) : John Fitzgerald
Domhnall Gleeson (VQ : Hugolin Chevrette-Landesque) : Andrew Henry
Will Poulter (VF : Alexis Ballestros ; VQ : Xavier Dolan) : Jim Bridger
Forrest Goodluck (VF : Diouc Koma) : Hawk
Paul Anderson : Anderson
Kristoffer Joner : Murphy
Joshua Burge (VF : Yann Guillemot) : Stubby Bill
Robert Moloney : Dave Chapman
Lukas Haas : Jones
Brendan Fletcher : Fryman
Tyson Wood : Weston
McCaleb Burnett : Beckett
Fabrice Adde : Toussaint, le chef des trappeurs de l'Ouest canadien
Vincent Leclerc : un trappeur de l'Ouest canadien no 1
Stephane Legault : un trappeur de l'Ouest canadien no 2
Emmanuel Bilodeau : un interprète francophone de l'Ouest canadien