Tasya, tueuse particulière, officie pour une agence secrète. Elle est chargée d’abréger la cible en s’infiltrant dans l’esprit d’un innocent ou d’une innocente choisi (choisie) pour sa proximité avec la cible. Une fois l’assassinat accompli sans bavure, elle se retire du porteur involontaire et celui-ci n’a plus qu’à se suicider. La dernière mission est peut-être celle de trop. Le retour dans son corps s’avère difficile et présente peut-être quelques séquelles impalpables fragilisant Tasya dans son inconscient. La prochaine mission dévoile un hôte plus machiavélique. Le porteur ne tarde pas à échapper à tout contrôle et prendre du plaisir à tuer. Tasya est-elle entrée dans le corps de trop, un tueur en série ? Il est important de revenir dans son enveloppe corporelle, mais est-ce encore possible ?
« Bon sang ne saurait mentir » nous dit le dicton. Brandon Cronenberg s’inscrit sans aucun doute dans les pas de son père. Avec Vidéodrome Cronenberg invente un nouveau genre « la nouvelle chair », le très polémique Crash devenant l’apothéose de la reconstruction des corps. Il fabrique un cinéma organique, psychanalytique, philosophique, arpentant souvent les territoires du fantastique et de la science-fiction. Cosmopolis, et La carte des étoiles marqueront une dimension tirant plus vers le mental. C’est dans cette dernière que se situe l’œuvre expérimentale du fils, Brandon, avec ce deuxième film plus abouti. On avait remarqué le premier opus Antiviral plein des qualités et défauts d’un premier film. Possessor est l’histoire assez simple d’une tueuse à gages s’infiltrant dans le corps d’un innocent pour commettre son forfait mais qui apparait bien plus complexe au fur et à mesure du récit. Elle nous interroge sur la puissance des nouvelles technologies et l’impunité des nantis.
Peu à peu, la part de mal pénètre l’esprit de Tasya qui ne peut plus rester indifférente. C’est une âme perdue, séparée de son mari et de son enfant. Le retour à une vie normale semble impossible. On ne sait pas si ce foyer qu’elle imagine avec cette rue sans âme existe ailleurs que dans sa tête. Peu à peu, le territoire entre la réalité et ce que notre esprit fabrique s’effiloche pour rebâtir un autre monde. Peu à peu, le retour dans son corps laisse apparaître d’infimes séquelles qui grandissent comme un virus tentaculaire. La dernière mission est peut-être celle de trop. Nous découvrons un coupable idéal, le futur gendre et une famille riche à souhait. La différence de classe dirige le bras du tueur. L’esprit se montre bien plus retors. Il échappe à Tasya pour prendre sa propre route, celle de la mort et de la chair violentée dans un chaos d’hémoglobine jouissif. Colin éprouve du plaisir à commettre ses meurtres et semble ne plus s’arrêter. On ne joue pas impunément avec l’esprit et la chair sans que cela provoque la foudre des dieux, de dieu !
On pourra parfois s’égarer avec une certaine jouissance dans le récit, comme dans ceux de David Cronenberg. Ce deuxième opus laisse apparaître une certaine maitrise et inventivité de l’image soignée et réfléchie. C’est un jeu de construction complexe dans lequel le spectateur demeure hypnotisé, ébahi ! Andréa Riseborough, Tasya, Christopher Abbott, Colin nous emportent au cœur de leurs personnages pour mieux nous perdre dans le labyrinthe de la pensée. Nous remarquerons Jennifer Jason Leigh, déjà présente dans l’œuvre du père. Nous pouvons conclure avec un autre dicton anglais ancien « ce qui est élevé dans l’os sortira dans la chair », ou en français « tel père, tel fils ». Brandon Cronenberg prolonge les thématiques du père au plus profond de l’âme dans une œuvre à venir qui ne devrait pas démériter.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : Possessor
Réalisation et scénario : Brandon Cronenberg
Décors : Oleg M. Savytski
Costumes : Aline Gilmore
Photographie : Karim Hussain
Montage : Matthew Hannam
Musique : Jim Williams
Production : Fraser Ash, Niv Fichman, Kevin Krikst et Andrew Starke
Production exécutive : Gary Hamilton, Ryan Hamilton, David U. Lee, Adrian Love, Tony Roman, Noah Segal et Steven Squillante
Sociétés de production : Rhombus Media, Rook Films
Pays d'origine : Canada, Royaume-Uni
Langue originale : anglais
Format : Couleur
Durée : 103 minutes
Genre : thriller, science-fiction
Dates de sortie : 2 septembre 2020 (L'Étrange Festival 2020) 7 avril 2021 (DVD)
Distribution
Andrea Riseborough : Tasya Vos
Christopher Abbott : Colin
Sean Bean : John Parse
Jennifer Jason Leigh : Girder
Tuppence Middleton : Ava
Rossif Sutherland : Michael
Raoul Banheja : Eddie
Hanneke Talbot : Katherine
Gage Graham-Arbutnot : Ira Vos
Matthew Garlick : Elio
Distinctions
Récompenses
Festival international du film de Catalogne 2020 : meilleur film et meilleur réalisateur2
Festival de Gérardmer 2021 : Grand Prix du Jury3
Sélections
Festival du film de Sundance 2020 : en section World Cinema Dramatic Competition
L'Étrange Festival 2020 : en compétition