C’est une histoire d’amour, de vie et de mort qui prend le temps de plaire, aimer et courir vite. C’est le temps du sida qui ronge la communauté gay sans autre raison que de semer la douleur et le chaos. Jacques, auteur à succès, vient présenter une pièce à Rennes. C’est ici qu’au cœur du désespoir marqué par la mort évidente, imminente de son ex-compagnon, il croise la route d’Arthur, un jeune garçon porté par la joie de vivre et ses choix sexuels assumés. C’est la fin d’un voyage pour le premier et le début d’une grande romance pour le second. Entre Rennes et Paris, il s’élance, chante, danse et court vite avant que la mort ne l’emporte, une belle histoire. Arthur vit pleinement sa condition entre les lieux obscurs où les corps jouent une drôle de partition amère, se cachant pour jouir du temps qui passe. Il ne laisse rien faire obstacle à son choix. Il voudrait devenir cinéaste. Jacques sait que le temps des plaisirs fous s’achève, le sida pèse de tout son poids sur les amours encore trop souvent interdites. Il faut profiter du temps qui passe avant que ne vienne la nuit. Arthur décide enfin de monter à Paris pour retrouver celui qu’il aime pour toujours. Jacques sait qu’il n’y aura pas de toujours et préfère devenir invisible. Est-ce la fin d’une belle histoire ou l’amour sera-t-il plus fort que la mort ?
Christophe Honoré aime les chroniques romanesques, romantiques, souvent fatales comme le dit un célèbre chroniqueur. Loin de 120 Battements par minute il propose peut-être son film le plus personnel, dénonçant un certain discours sur l’homosexualité à travers Arthur. Il choisit une forme particulière, personnelle, mélange de rires et de drames. Derrière une certaine légèreté, il cache un discours plus profond, que ce soit dans Ma mère, Les chansons d’amour, Métamorphoses ou sa version des Malheurs de Sophie. Le réalisateur s’incarne sans doute à la fois dans le personnage d’Arthur pour ses années de jeunesse et de Jacques pour aujourd’hui. Plaire, aimer et courir vite est un film à multiples facettes, un regard juste sur la communauté gay, romance universelle, et le sida. Longtemps le cinéma gay appartenait à l’underground des années soixante, puis soixante-dix.
Il s’impose comme un genre à part entière dans les années deux mille avec des réalisateurs dépassant la simple illustration ou la défense militante. Aujourd’hui l’effet de mode s’éclipse pour devenir une histoire comme une autre. Dans ce sens, en plaçant son histoire dans les années quatre-vingt-dix, période de mutation, il devient peut-être une parabole dépassant le militantisme. Cette romance n’a pas de sexe, car l’amour est au-delà de certaines barrières que nous construisons. Il se voit comme une belle histoire où deux êtres cherchent la voie du cœur pour finir par s’aimer et vivre. Derrière la mort et son épée de Damoclès, le sida, c’est la vie qui gagne. Il faut profiter du présent sans se retourner ni regarder au loin les routes en devenir. Universelle cette histoire l’est car elle peut se transposer en balade d’un homme et une femme avec la maladie, traitée dans de nombreux films.
C’est le bonheur et la douleur que saisit Christophe Honoré à travers ses personnages dans une valse de visages joyeux et douloureux. Plus que la mélancolie, c’est la vie tout simplement qui se dévoile sur l’écran des matins heureux aux soirs tristes. Tout devient magie, silence et paroles pour crier le droit à aimer. Il touche dans ses dialogues, ses rires à des sujets plus profonds, la paternité, la sexualité souvent crue, sans tabou, le désir d’aimer, le sida, la fin de vie, et le sens des mots et des maux. Il offre des séquences magnifiques comme leur première rencontre dans un cinéma, jeux d’ombres amoureuses. Le lieu des clandestinités d’autrefois prend une autre signification. Les lieux sont importants, ils marquent peut-être les victoires d’aujourd’hui d’une communauté quittant la clandestinité, la nuit pour le jour. C’est au final un beau conte de vie s’appuyant sur l’éphémère pour bâtir l’éternité.
Patrick Van Langhenhoven
Le point de vu de Françoise
Christophe Honoré touche très juste, quelle que soit la sexualité de ses spectateurs. La question au centre du film est le désir et aussi l’amour, tels qu’ils nous frappent, sans distinction de classe, de sexe, d’âge, sans prévenir. Il lève un peu le voile sur les modes de drague nocturne, sans impudeur mais dans une sensualité tout à fait troublante, moite, intime. Jamais voyeur, mais jamais timoré, Honoré nous fait sentir, ressentir. Et on ne peut qu’accompagner les personnages car il nous permet de rentrer dans ce que leurs vies ont de privé, d’ambigu, parfois de contradictoire. Essayer de vivre ses désirs pour pimenter la vie, sans craindre la mort, ou du moins faire que les désirs soient plus forts que la mort. Mieux valent les remords que les regrets. Honoré est romantique, passionné, mais ni irresponsable ni nunuche. Le sida comme intrus modifie la vie des personnages et paradoxalement leur fait vivre plus intensément la vie, ce qui n’est ni héroïque ni enviable. Dans les années quatre-vingt-dix, c’est ainsi et c’est tout.
Un film qui est à voir aussi urgemment qu’il est urgent de vivre.
Françoise Poul
Bonus
Journal à l'envers, entretien avec Jean Marc Lalanne 40 mn
Titre original : Plaire, aimer et courir vite
Titre international : Sorry Angel
Réalisation et scénario : Christophe Honoré
Décors : Stéphane Taillasson
Costumes : Pascaline Chavanne
Photographie : Rémy Chevrin
Son : Cyril Holtz, Guillaume Le Braz et Agnès Ravez
Montage : Chantal Hymans
Production : Philippe Martin et David Thion
Sociétés de production : Les Films Pelléas ; Arte France Cinéma (coproduction)
Société de distribution : Ad Vitam Distribution
Pays d'origine : France
Langue originale : français
Format : couleur
Genre : comédie dramatique
Durée : 132 minutes
Dates de sortie : 10 mai 2018 (Festival de Cannes et sortie nationale)
Distribution
Vincent Lacoste : Arthur
Pierre Deladonchamps : Jacques
Denis Podalydès : Mathieu
Adèle Wismes : Nadine
Thomas Gonzales : Marco
Clément Métayer : Pierre
Quentin Thébault : Jean-Marie
Rio Vega : Fabrice
Tristan Farge : Louis
Sophie Letourneur : Isabelle
Marlène Saldana : l'actrice
Luca Malinowski : Stéphane