C’était l’époque du Front populaire et d’une France pleine de promesses avant que ne tonne le canon.
Deux bandes de marmots, une fois l’école finie, se lancent des défis pour s’affronter dans un remix de western réinventé. C’est une diligence imaginaire attaquée par des bandits. On rit, on s’amuse, on se dispute la gloire et l’honneur dans un temps possédant encore du cœur. Dans la cour de récréation, ils jouent au ballon et parfois cassent des carreaux. L’un d’entre eux éclate la belle verrière de l’école et se retrouve puni. Le pauvre fils d’ouvrier besogneux, élève chahuteur et souvent réprimandé, doit payer la réparation bien au-delà de ses moyens. Dans un élan de solidarité, les deux bandes rivales s’assemblent pour trouver la meilleure façon de gagner l’argent nécessaire. On cire les chaussures des bourgeois, on chante dans la rue, on vend du muguet, on casse sa tirelire, etc. Chacun trouve de quoi d’aider ce plus faible pour qu’il s’en sorte. Deux mauvais garçons arnaqueurs volent la recette et tous les espoirs des minots. Face aux adultes, les enfants feront front et remporteront peut-être la victoire.
Nous les gosses est peut-être un film sur l’enfance dans la lignée des Disparus de Saint-Agil de Christian Jacques en 1938, La guerre des boutons d’Yves Robert en 1962, Les Choristes plus récemment. C’est un film sur une bande de mômes apprenant la dure réalité du travail et de l’entraide pour sauver un copain de la maison de correction. On peut aussi trouver dans celui-ci, avec sa date de sortie décembre 1941, un récit appelant à la résistance en pleine guerre. Souvent, à cette époque, le cinéma nous racontait parfois tout autre chose. C’était une manière de contourner la censure et l’Occupation.
On remarquera les jeunes comédiens espiègles et déjà cabotins pour certains. Le grand Dédé, devenu tellement cabot, sera rétrogradé du premier rôle à la figuration. Suite à l’annonce pour recruter la bande de chenapans, les producteurs auront le droit à quelques propositions comme : « Prenez mon petit René et vous aurez du beurre sans ticket... je suis crémière » et « Jetez un œil favorable sur Henriette et je vous apporte un beau gigot, mon mari est boucher »... En temps de guerre, un gamin comédien, ça mettait du beurre dans les épinards !
C’est d’abord un regard sur l’enfance et le monde des adultes. C’est une thématique chère au cinéma que Louis Daquin exploite sous tous les angles. Le film s’ouvre sur des gosses s’amusant déjà à singer l’univers des grands. Tout au long du récit, c’est la fraicheur, l’innocence de l’enfance face à un monde d’adultes déjà pervertis. La confrontation atteint son sommet avec les deux mauvais garçons prêts à tout pour s’en sortir. Nous pourrions voir peut-être une image de la collaboration. À l’inverse, le maitre d’école et la police peuvent évoquer avec les enfants une certaine image de la résistance. Louis Daquin, communiste convaincu, sur un texte de Marcel Aymé en profite pour faire passer ses idées de solidarité, cruciales à l’époque. Le cinéma a une place importante avec le sacrifice du billet pour la séance de La dame aux camélias. Un enfant est désigné pour le voir et le raconter à ses camarades au cas où les parents auraient la mauvaise idée de réclamer le récit. Il en fera plus tard une version particulière, très western, pour sa famille.
On demandera aux auteurs de rajouter une histoire d’amour assez secondaire. Nous les gosses annonce un grand cinéaste que cette sortie DVD avec Premier de cordée en 1944 sortira de l’oubli. Assistant de Jean Grémillon, il en garde une certaine esthétique réaliste, proche parfois du fantastique. Cette réalité se retrouve chez les parents ouvriers. En une séquence brève, il dénonce toute la difficulté d’une classe. Il n’est pas dénué d’une part d’imaginaire avec le libraire détective qui pourrait se retrouver dans les romans de Marcel Aymé. L’œuvre de Louis Daquin gagne en lyrisme par la suite avec Les Frères Bouquinquant (1948), son chef-d’œuvre. Il continue de tourner jusqu’en 1969. La sortie en DVD restauré est l’occasion de revoir le film et de mieux comprendre notre patrimoine cinématographique.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus:
Entretiens autour du film avec Thomas Baurez et Jonathan Broda (23')
Actualités Pathé d'époque :
- Allocution du Maréchal aux écoliers français (2'30")
- Vichy : Dessins d'enfants adressés à Pétain (1')
- À Paris, au Centre d'éducation professionnelle (1')
Les bonus nous montrent la place de l’enfant en pleine guerre 39-45 et le culte du Maréchal Pétain. Ils sont complétés par un entretien de deux spécialistes du cinéma qui nous éclaire sur le film et la place de Louis Daquin dans l’histoire du cinéma. C’est une fois de plus un travail sérieux et précis que nous offre Pathé.
Titre : Nous les gosses
Réalisation : Louis Daquin
Scénario : Gaston Modot et Maurice Hiléro
Adaptation : Louis Daquin et Marcel Aymé
Dialogues : Marcel Aymé
Photographie : Jean Bachelet
Décors : Lucien Aguettand
Musique : Marius-François Gaillard
Directeur de production : Jean Faurez
Société de production : Pathé Consortium Cinéma
Pays : France
Format : Son mono - Noir et blanc - 35 mm - 1,37:1
Année : 1941
Genre : Comédie dramatique
Durée : 95 minutes
Date de sortie : 2 mars 1941
Distribution
Louise Carletti : Mariette Roset
Gilbert Gil : M. Morin, l'instituteur
André Brunot : Le commissaire
Marcel Pérès : Victor Lemoine, le père de Nicolas
Louis Seigner : Le directeur de l'école
Anthony Gildès : Le père Castor
Léonce Corne : M. Briochet, l'ami de la famille
Martial Rèbe : Le père de Fernand
Madeleine Geoffroy : La mère de Fernand
Jeanne Pérez : La mère de Jeannot
Henry Darbray : Le client radin à la terrasse du café
François Viguier : Le mendiant
Émile Genevois : Gros Charles
Lucien Coëdel : Le père de Jeannot
Robert Arpin : Gégène, le neveu du père Finot
Serge Bedez : Un gamin
Jean Buquet : Tom Mix
Jean-Marie Boyer : Lucien Collard
Liliane Barnassin : Une gamine
Bernard Daydé : Doudou
Jean-Pierre Geoffroy : Pierrot Roset, le jeune frère de Mariette
Henri Legoullon : Fernand
André Lancel : Jeannot
Jean Samson : Robert
Raymond Bussières : Gaston
Pierre Larquey : le père Finot
Acteurs non crédités
Paul Frankeur : Le secrétaire du commissaire
Jean Clarieux : Un agent
Franck Maurice : Un agent
Lucy Kieffer : Mme Lemoine, la mère de Nicolas
Michel Dancourt : Nicolas Lemoine
Marcelle Suire : Georgette, une gamine
Liane Daydé : Une gamine
Montgomery : Gilbert, un gamin
Renée Thorel : La dame charitable
André Zibral : Le professeur grincheux
Geneviève Cadix : Mélie, une gamine
Antonin Baryel : Le camelot bègue
Jane Pierson