Le film s’ouvre sur des masses de chair ballottantes, Pom Pom girls vieillissantes, ogresses, miroirs de nos peurs ! En un autre temps, dans d'autres lieux, dans les grottes profondes où se tapissent les ombres de nos terreurs enfantines, elles étaient les déesses mères. On s'accroche à une histoire qui touche à sa fin. Un couple s'effrite dans le silence de la nuit. Il est temps d'oser mettre le mot fin. Hier frappe à la porte, un livre, un premier amour. C’était cette autre fois que l'on souhaite oublier. Quand l’amour s’enfuit, le fleuve du temps nous rappelle les anciennes meurtrissures. Susan ressemble aux statues figées, immobiles, glacées, âme perdue dans la tourmente de la vie. Sa mère l’avait prévenue, il n’était pas pour elle, trop de différences de classe.
Est-ce que la fin s’achève avec le rêve ? Aujourd’hui séparé, il lui donne à lire son dernier roman. C’est un thriller fouillant le cœur de l’humanité sombre. Il résonne comme un écho fantasmé de leur histoire d’amour. Il raconte une route et une balade s'achevant au cœur du désert dans les bras des animaux nocturnes. Et vous, pauvre petite chose de la ville, perdue, jetée aux prédateurs voraces. Il est temps pour s'en sortir que la sombre bestiole sorte ses griffes ou elles seront dévorées par la meute des fous. Le tout est de savoir quel loup de la meute on est ? Le tout est de savoir si la vie est un rêve romantique ou le chaos sans fin des douleurs. Quelle vie on porte ? Quelle faute on expie ? Peut-on briser le cercle ou subir à l’infini…C’est peut-être le dernier cadeau à Susan, la vengeance d’un fantôme qui ne reviendra plus.
Il n’est pas facile de suivre la route de Tom Ford. Dans une mise en scène stylisée, il nous entraine dans une métaphore du couple où deux histoires se font écho. C’est d’abord Susan, responsable d’une galerie branchée et la fin de l’amour. Elle renvoie en effet miroir à cette première romance où elle bafouait les règles du clan. Elle croyait à l’époque aux histoires de princesses des contes de fées et du petit cordonnier. Elle croyait en Tony et sa plume qui se confrontait au monde, cherchant une route à emprunter. Le premier rêve se brise et finit dans le vent du soir par ne plus être qu’un souvenir. Est-ce qu’elle finira par devenir le portrait de sa mère ? Qu’est-ce qui nous attend au bout de la route, ressembler à nos géniteurs ?
Qu’est-ce qui lie ces corps de femmes obèses s’agitant sur les écrans ou immolés sur les stèles de la galerie du début ? Qu’est-ce qui les relie aux monstres assassins, animaux nocturnes embusqués sur la route ? Est-ce l’illusion d’un monde où les jeunes filles de bonne famille aux corps fluets épousent des garçons de bonne famille ? Ne sommes-nous que les masques de nos rêves perdus dans la nuit sans fin où la bête rôde ? Les apparences glissent, nous entrainant au cœur des deux récits. La réalité, boucle sans fin d’une histoire qui se répète. On s’aime, on se quitte et la douleur nous invite au chaos du monde. Aimer, c’est croire en l’autre, s’accrocher au meilleur comme au pire pour bâtir l’avenir. Phrase facile, la vie est plus complexe sans aucun doute, mais si déjà on commençait par cela, ce serait un bon début non ? C’est peut-être ce que Susan pense en lisant le roman de Tony.
C’est peut-être ce qu’elle pense en découvrant les incartades d’Hutton. C’est la noirceur de nos âmes qu’explore le réalisateur, à la fois dans le thriller, métaphore d’une mort trop lourde à porter. C’est cet instant sous la pluie où tout s’efface et il ne reste que la solitude pour s’y noyer. Ce jour où les routes de Susan et Tony se séparent. (Je ne peux en dire plus pour ne pas spoiler) Elle rentre dans le rang de ce monde d’apparences. Lui retourne à la terre battue où les gens ordinaires enterrent leur rêve. Elle devient la femme « de » et lui, enfin, trouve dans ce livre thriller sa vengeance et sa rédemption. Entre ces lignes, le film aborde l’écriture, l’art moderne, le couple, le désir, pour les fouiller, de la lumière à la noirceur la profonde. La route est compliquée.
Si le thriller entrecoupant le récit ne pose aucun problème, il représente la lecture du roman de Tony mettant en scène une histoire de mort et d’amour que l’on pleure pour l’éternité. Il devient plus difficile de suivre le fil que celui de Susan, dans cette masse de métaphores pas toujours compréhensibles. C’était déjà le cas de Single Man le premier film de Tom Ford, un peu de clarté sur la narration ne nuirait pas à l’ensemble. C’est à vous d’oser tenter la route qui ne vous laissera pas indifférent.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus
Construire l'histoire
Titre original : Nocturnal Animals
Réalisateur : Tom Ford
Scénario : Tom Ford, d'après le roman Tony and Susan d'Austin Wright
Photographie : Seamus McGarvey
Musique : Abel Korzeniowski
Direction artistique : Christopher Brown
Décors : Shane Valentino
Casting : Francine Maisler
Production : Tom Ford et Robert Salerno
Co-production : Diane L. Sabatini
Sociétés de distribution : Focus Features (États-Unis); Universal Pictures (France)
Budget : 22,5 millions de dollars américains1
Format : couleur — 35 mm — 2,35:1 — son Dolby Digital
Pays d'origine : Drapeau des États-Unis États-Unis
Langue originale : anglais
Genre : drame, thriller
Durée : 116 minutes
Dates de sortie : 4 janvier 2017 Tous publics avec avertissement
Distribution
Amy Adams (VQ : Viviane Pacal) : Susan Morrow
Jake Gyllenhaal (VF : Rémi Bichet ; VQ : Martin Watier) : Tony Hastings / Edward Sheffield
Michael Shannon : l'inspecteur Bobby Andes
Aaron Taylor-Johnson : Ray Marcus
Isla Fisher : Laura Hastings
Ellie Bamber : India Hastings
Armie Hammer : Hutton Morrow
Karl Glusman : Lou
Robert Aramayo : Turk
Laura Linney : Anne Sutton
Andrea Riseborough : Alessia
Michael Sheen : Carlos
India Menuez : Samantha Morrow
Imogen Waterhouse : Chloe
Franco Vega : Conducteur
Zawe Ashton : Alex
Evie Pree et Beth Ditto : Voix féminines à la télé
Graham Beckel : Lieutenant Graves
Neil Jackson : Christopher
Jena Malone : Sage Ross
Lee Benton : Chef de bureau
Kristin Bauer van Straten : Samantha Van Helsing
Sydney Schafer : Hôtesse
Evan Bittencourt : Liftier
Janet Song : Infirmière
Michele Dunn, Lori Jean Wilson, Peggy Richardson et Piper Major : Femmes filmées