Stanton Carlisle, un homme perdu au passé trouble, débarque dans une de ces foires ambulantes des années 40. Il découvre tout un univers qui le fascine et plus particulièrement, Le Crétin. C’est une attraction du fond de la misère exploitant un pauvre type. Elle consiste à lui faire dévorer des poulets et des serpents. Stanton découvre un couple particulier, Zeena et Pete, dans un numéro de voyance exploitant la crédulité des spectateurs. Il apprend l’art de la manipulation et du mensonge avec ce couple devenu ses mentors. Lassé de cette vie sans avenir, il est persuadé qu’il peut faire mieux. Stanton quitte la foire, entrainant la jeune Molly dans sa quête de richesse. Ils montent un numéro de divination qui leur ouvre les portes des meilleurs établissements. L’argent ne se fait plus attendre, tout comme les crédules puissants en quête de contact avec les fantômes du passé. Pete l’avait mis en garde contre une frontière à ne pas franchir. C’est alors qu’il croise la route d’une adepte de Freud, le Dr Lilith. Il se laisse entrainer dans une arnaque qui pourrait bien lui coûter plus cher qu’il ne pense.
« Tout le monde rêve d’être dévoilé »
Pour comprendre le film, il faut remonter à la genèse du roman paru en 1946. Dès sa sortie il devient culte. Il connaît une première adaptation en 1947 par Edmund Goulding avec Tyrone Power. L’idée de départ vient d’une rencontre avec William Lindsay Gresham pendant la guerre d’Espagne. On lui raconte l’histoire d’une attraction de fête foraine nommée Geek. Un ivrogne tombé si bas que contre sa dose, il n’hésite pas à dévorer poulets et serpents vivants. Elle marque l’esprit de son auteur qui, en 1946, écrit Nightmare Alley. Il ajoute son expérience d’analyse et sa passion du Tarot divinatoire. Les têtes de chapitre deviennent les 22 arcanes majeurs. Le livre nous entraine dans une écriture coup-de-poing à l’argot particulier. L’auteur sonde l’âme de ses personnages dans cette valse des apparences jusqu’au cœur des ténèbres. Le film n’en retiendra que la bataille avec ces démons, la descente en enfer d’un arnaqueur se prenant pour le meilleur des bonimenteurs. L’œuvre de Guillermo del Toro n’est pas celle des monstres ni des fantômes. Ils servent un discours sur la déchéance de l’humanité, sa culpabilité, son jeu du mensonge et de la vérité.
Nightmare Alley, dans sa trame de thriller noir, prend une place particulière en dévoilant le cœur de son œuvre. Il se rapproche de L’échine du diable et du Labyrinthe de Pan, marqué en toile de fond par la guerre d’Espagne et le franquisme. Le film emprunte la même lumière, entre crépuscule et aube, ce moment du jour entre nuit et lumière. Dans Nightmare Alley, c’est la Seconde Guerre mondiale comme un écho sonore lointain. Chaque personnage est marqué par ses propres démons qui finissent par l’anéantir. L’homme est incapable de vaincre ses propres mensonges et ténèbres. Ils finissent par l’entrainer dans un trou noir sans fond. La première partie nous entraine au cœur de la fête foraine aux allures de la série La caravane de l’étrange. Les freaks restent dans l’ombre, ils ont plus l’apparence de nos fantômes. La chute des anges est peut- être représentée par le Crétin prêt à tout pour noyer, repousser son diable intérieur.
Il n’y a pas plus de rédemption chez Guillermo del Toro que chez William Lindsay Gresham. L’innocence ne sauvera pas Stanton Carlisle. Elisa sauvait la créature de La forme de l’eau. Molly devra fuir pour ne pas perdre son âme. Le bien le mal, l’innocence et la perversité des hommes marquent cette route. Lilith aura raison de celle du bonimenteur qui trouvera plus menteur. Cate Blanchett nous rappelle Lauren Bacall, vamp sulfureuse dans de nombreux films noirs. L’homme finit par se perdre dans son propre jeu des mensonges qui semble nous dire la morale du film. Celle du roman, bien plus noire, nous raconte qu’il se perd dans les feux de l’enfer.
William Lindsay Gresham tente la psychanalyse, le Tarot, le bouddhisme, pour finir par se suicider. Les fantômes deviennent peut-être l’incarnation de ce monde entre vérité et mensonge, réalité et apparence. Ils sont, dans le film, ce qui reste de la faute quand la ligne est franchie et nous entraine inexorablement vers la chute, car il n’existe aucune rédemption pour le pécheur. Nos diables intérieurs finissent par avoir notre peau, nous transformant en Geek. Le roman Nightmare Alley aux éditions Gallimard dans la collection Série Noire, dans une nouvelle traduction, vous entrainera bien plus loin au cœur de la noirceur de l’âme. A côté, le film, malgré sa noirceur, fait figure de conte pour enfants.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original et français : Nightmare Alley
Réalisation : Guillermo del Toro
Scénario : Kim Morgan et Guillermo del Toro, d'après le roman Le Charlatan de William Lindsay Gresham
Direction artistique : Brandt Gordon
Décors : Tamara Deverell
Costumes : Luis Sequeira
Musique : Nathan Johnson1
Montage : Cam McLauchlin
Photographie : Dan Laustsen
Production : Guillermo del Toro, J. Miles Dale et Bradley Cooper
Sociétés de production : TSG Entertainment et Double Dare You Productions
Sociétés de distribution : Searchlight Pictures (États-Unis), The Walt Disney Company France (France)
Pays d'origine : États-Unis
Langue originale : anglais
Format : couleur
Genre : thriller, drame, néo-noir
Durée : 150 minutes
Dates de sortie : 19 janvier 2022
Classification : avertissement
Distribution
Bradley Cooper (VF : Alexis Victor) : Stanton « Stan » Carlisle
Cate Blanchett : Dr Lilith Ritter
Willem Dafoe : Clement « Clem » Hoately
Toni Collette : Zeena Krumblein
Richard Jenkins : Ezra Grindle
Ron Perlman : Bruno
Rooney Mara : Molly Cahill
David Strathairn : Peter « Pete » Krumblein
Holt McCallany : Anderson
Jim Beaver : le shérif Jedediah Judd
Mark Povinelli : le major Mosquito
Mary Steenburgen : Miss Kimball
David Hewlett : Dr Elrood
Tim Blake Nelson : Carny Boss
Clifton Collins Jr. : Funhouse Jack
Paul Anderson : un geek
Stephen McHattie : un clochard
Lara Jean Chorostecki : Louise Hoately
Romina Power