Le temps de la douleur passé, les plaies toujours purulentes dans l’âme, Diane n’arrive pas à refermer le livre. La mort d’un fils causée par un chauffard en fuite, pour une mère, est un calvaire dressé dans son cœur. Les questions reviennent sans cesse, tsunami emportant toute raison et idées d’un lendemain heureux. La police ne progresse pas dans l’enquête. La vie ne progresse pas dans sa reconquête d’un avenir serein. Elle se lance alors dans la quête de la vérité sur les premiers indices d’un détective qu’elle a engagé.
Elle traverse le lac endormi où le reflet des eaux noie son image dans les larmes du désespoir. C’est à Evian que commence la traque des preuves qui la mèneront à rencontrer Marlène et une famille sans histoire aussi paisible que l’eau du Léman. Elle tient un institut de beauté, aime les randonnées dans la montagne perdue où le vol des rapaces fait frémir la douceur de l’air. Peu à peu, Diane s’immisce dans le quotidien de Marlène, prétextant l’achat d’une voiture, d’un chalet. Tout est bon pour ne pas perdre le lien et creuser le sillon de la vérité. Il faut se méfier des voiles que l’on soulève. Derrière les apparences se cachent des vérités qui ne sont pas bonnes à dire.
C’est l’adaptation d’une partie du roman éponyme, Moka de Tatiana de Rosnay. C’est le deuxième long métrage de Frédéric Mermoud avec Emmanuelle Devos dans un rôle de composition sur le bord de la ligne. Nous pensons à Claude Chabrol et son univers de province, dans la même façon de décrypter le cœur des humains. Nathalie Baye renforce cette idée dans un personnage chabrolien cachant d’autres évidences. La comparaison s’arrête là, Frédéric Mermoud trouve sa propre partition cinématographique dans les pas du maître. Plus que la société, ce sont les personnages et leurs âmes perturbées qui l’intéressent. Le premier plan magnifique donne déjà le ton du film, une vitre où se reflète le visage d’une femme, noyé dans celui du lac Léman.
L’eau, passage entre les vivants et les morts, larmes de douleur, liquide des origines. Elle nous renvoie au ventre de la mère, la chair de la chair, la mort du fils et nous interroge sur le sens de la vengeance portée par la haine. Elle finit par prendre d’autres couleurs tout au long du cheminement de Diane. C’est une route initiatique qui mène de la douleur de la mort au deuil, pour enfin avancer de nouveau dans l’océan de la vie. La mise en scène s’imprègne du quotidien, de l’espace extérieur pour porter la trame de la souffrance intérieure. La vengeance devient un moyen d’échapper à la folie, d’éviter de perdre pied dans les eaux du lac. Plus elle avance, plus les preuves s’accumulent et plus la vie revient. Tout se joue sur la nuance, le petit rien, un regard, un geste, un mot et le spectateur attentif peut remonter la piste.
La force du cinéma de Frédéric Mermoud se trouve dans sa capacité à donner des images et des couleurs aux sentiments. Dans ce sens, la scène finale est très révélatrice et un petit bijou de cinéma. Nous nous interrogeons sur la mentalité de Diane. Pourquoi, par exemple, acheter la voiture coupable ? Nous pouvons y voir une certaine malignité. Est-ce la nécessité d’une preuve accablante ou autre chose de plus nocif ? Moka couleur de la voiture, joue beaucoup sur cette ligne entre la folie et la raison, la perversité et la quête du criminel. Le fait de s’immiscer dans la vie de Marlène par petites touches pour devenir bonne copine en est un exemple parfait. Pénétrer la vie de l’autre, rentrer dans son quotidien, c’est risquer de saisir l’être derrière la coupable. La trame du récit joue parfois les apparences du classique pour finir par nous exploser en plein cœur. La fin, subtile, est un petit bijou de cinéma que Chabrol ou Hitchcock n’auraient pas renié.
Parfois nous dévoilons d’autres vérités bien plus surprenantes ou terrifiantes. La vérité possède alors un goût plus amer, plus pernicieux, qui pénètre votre âme, et cela ne va pas sans risque de s’y perdre à jamais. Pour finir, c’est aussi un magnifique duo d’actrices dans un jeu sur la corde raide tout en nuances, à savourer.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus:
Entretien avec le réalisateur Frédéric Mermoud (19')
Titre : Moka
Réalisation : Frédéric Mermoud
Scénario : Frédéric Mermoud et Antonin Martin-Hilbert, d'après l'œuvre de Tatiana de Rosnay
Musique : Christian Garcia et Grégoire Hetzel
Montage : Sarah Anderson
Photographie : Irina Lubtchansky
Décors : Ivan Niclass
Costumes : Françoise Nicolet
Producteur : Damien Couvreur, Julien Rouch et Tonie Marshall
Coproducteur : Jean-Stéphane Bron
Production : Diligence Films
Coproduction : Tabo Tabo Films, Bande à part Films et Sampek Productions
Distribution : Pyramide Distribution
Pays d'origine : Drapeau de la France France et Drapeau de la Suisse Suisse
Durée : 89 minutes
Genre : Drame
Dates de sortie : 17 août 2016
Distribution
Emmanuelle Devos : Diane
Nathalie Baye : Marlène
Diane Rouxel : Élodie
Olivier Chantreau : Vincent
Jean-Philippe Écoffey : le détective
David Clavel : Michel
Samuel Labarthe : Simon
Marion Reymond : Adrienne
Paulin Jaccoud : Luc