Marvin subit depuis son enfance le regard sur sa différence, à cause de son image d’ange semblable à ces statues honorées par Pasolini. Il ne comprend pas bien ce qui fait de lui ce vilain petit canard que l’on rejette, insulte et bafoue. Dans la cour de récré, la bande ne lui laisse aucun répit, toujours à le harceler dans son âme et son corps. Il ne dit rien, passe comme une image sage, une ombre sur les murs d’un Colisée de l’oubli. À la maison, les réflexions sur sa féminité, son homosexualité endormie, reviennent comme un chant de douleur, une croix à porter dans ce tombeau des jours gris. Il n’espère qu’une chose, partir, fuir un terreau qui creuse son cours dans le silence des images d’Épinal et des idées toutes faites. On n’aime pas la différence chez ces gens-là, pourrait chanter le poète. C’est dans ce jeu des ombres fugaces, conduisant à la nuit, que la principale du collège le pousse à prendre son envol. Le vilain petit canard part pour un autre monde où sa différence n’est plus une honte, une marque de diffamation. Il rencontre un professeur de théâtre, un riche Pygmalion et une actrice célèbre qui lui permettront de déployer ses ailes et de devenir un cygne. Il pourra, en prenant son histoire pour terreau, raconter la belle métamorphose aux yeux du monde, sans crainte.
Le film est librement inspiré, plus qu’adapté, du roman En finir avec Eddy Bellegueule d’Édouard Louis. Anne Fontaine quitte le triangle amoureux pour explorer une autre facette de ses personnages où le sexe et l’âme cherchent à prendre leur envol. Réalisatrice de la métamorphose, elle trouve dans cette histoire de quoi alimenter ces interrogations les plus profondes. Les corps et le sexe imprègnent son œuvre, parfois de façon violente comme dans Nettoyage à sec, particulière Nathalie, maternelle Perfect Mothers, douloureuse Les innocentes. Derrière, se cache souvent la métamorphose des personnages qui devient de plus en plus présente dans ses derniers films. Dans Marvin ou la belle éducation, c’est bien le cœur du récit, comment un jeune garçon de la campagne, perdu dans une famille de gens ordinaires, découvre en changeant de classe sa véritable nature. Il puise chez un riche Pygmalion et deux professeurs de théâtre l’enseignement nécessaire pour se transformer. Comme dans Coco avant Chanel, c’est tout le cheminement qui conduit un jeune garçon brimé à ne pas céder mais à lutter.
Le film prend la forme d’un cercle, avec des allers retours entre l’enfance et Marvin, transformé en Martin, chrysalide devenue papillon. Il s’achève là où tout commence chez ces pauvres gens du fin fond de la France. La vraie personnalité de Marvin n’est plus un tabou, une honte, mais enfin reconnu, il peut enfin prendre son envol et assumer aux yeux du monde sa véritable nature. Auparavant, il passe par le théâtre avec la transformation du corps et des mots claquant comme un vent mauvais pour finir par prendre les couleurs de la vérité. La première image est d’ailleurs celle d’un jeune garçon se maquillant. C’est presque une parabole du film. C’est au cœur de cette éducation qu’il découvre la culture qui l’aidera à trouver la force d’exister face à l’imbécillité des autres. Il transforme la douleur des jours sombres en paroles d’émancipation pour que d’autres trouvent la force de muter. C’est une trinité qui dévoile l’âme secrète et le pousse à changer des insultes en succès.
C’est Madeleine la principale du collège qui ouvre la voie, suivie par Abel, ce professeur de théâtre homosexuel. Il malaxe la terre pour en faire une statue que Roland dévoile au monde. Anne Fontaine pousse ses acteurs à donner le meilleur d’eux-mêmes, à commencer par Finnegan Oldfield, découvert dans Gang Bang, Une vie, Cow-Boys. Vincent Macaigne reste dans la nuance pour camper ce professeur de théâtre atypique. Grégory Gadebois et Catherine Salée composent les parents terribles, émouvants, dans ce poids d’une existence que l’on supporte plus que l’on ne la choisit. C’est aussi pour échapper à cette tristesse d’une vie de peu que Marvin Bijou, au nom prédestiné, s’échappe du cercle familial. Marvin ou la belle éducation est peut-être le film où Anne Fontaine nous livre le plus son âme.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : Marvin ou la Belle Éducation
Titre international : Reinventing Marvin
Réalisation : Anne Fontaine
Scénario : Anne Fontaine et Pierre Trividic
Décors : Emmanuel de Chauvigny
Costumes : Elise Ancion
Photographie : Yves Angelo
Montage : Annette Dutertre
Son : Brigitte Taillandier, Rym Debbarh-Mounir, et Jean-Pierre Laforce
Production : Philippe Carcassonne, Jean-Louis Livi et Pierre-Alexandre Schwab ; Christophe Spadone, Stéphane Célérier et Valérie Garcia (coproducteurs)
Sociétés de production : Ciné@, P.A.S. Productions et F Comme Film
Société de distribution : Mars Films
Pays d'origine : France
Langue originale : français
Format : couleur
Genre : drame
Durée : 113 minutes
Dates de sortie : 2 septembre 2017 (Mostra de Venise) 22 novembre 2017
Distribution
Finnegan Oldfield : Marvin Bijoux, devenu Martin Clément
Grégory Gadebois : Dany Bijoux
Vincent Macaigne : Abel Pinto
Catherine Salée : Odile Bijoux
Jules Porier : Marvin enfant
Catherine Mouchet : Madeleine Clément
Charles Berling : Roland
Isabelle Huppert : elle-même
Sharif Andoura : Pierre
India Hair : Vanessa
Cécile Rebboah : Madame Carolus