Nikolai, homme du monde et philosophe russe, a invité quelques amis à séjourner dans son manoir à Malmkrog, en Transylvanie. Parmi eux, on compte Ingrida, l’épouse d’un colonel russe alité dans une chambre voisine ; Olga, éditrice et fervente chrétienne orthodoxe ; et enfin deux français : Edouard, politicien et Madeleine, pianiste. De dehors, on entend des chants, le village célèbre l’Avent, en cette fin du XIXème siècle. Au cours d’une journée, les cinq amis vont pouvoir s’affronter verbalement – et ce, dans un français impeccable - sur des sujets tels que l’existence de Dieu et du diable, la notion du bien et du mal, la guerre, la colonisation… Tous défendent leur point de vue selon leurs différentes cultures et religion, tentant de convaincre, en vain souvent, leurs amis. Cette journée sera rythmée par les différents moments conviviaux que sont le rafraîchissement, le déjeuner suivi de l’indispensable cognac, le thé, le dîner ; le tout dans un ballet incessant de tout le personnel du manoir, du majordome, en passant par le valet, la cuisinière ou la femme de chambre.
Christian Puiu donne son interprétation de « Trois entretiens. Sur la guerre, la morale et la religion » du poète et philosophe russe, Vladimir Soloviev. Habitué aux films fleuves (Sieranevada, 2h53), le réalisateur roumain nous livre 3h20 d’échanges affectés, avec toute la distinction qui sied aux gens de qualité. L’exercice est souvent intense, tellement il est dense.
Comme cela apparaît de plus en plus dans le cinéma d’aujourd’hui, le film est articulé en plusieurs chapitres. Chacun des chapitres porte le nom des cinq protagonistes, dans lequel ceux-ci abordent leur vision de l’humanité ; Istvan, le majordome, complétera ce tableau, mais lui, ce sera pour assoir sa légitimité (voire sa brutalité) en haut de la pyramide hiérarchique. Car si l’intrigue se résume en longs discours et rhétorique, le service des domestiques arrive en contre-point à l’histoire. Chaque plan est ainsi constitué par l’art du discours, d’une part et par l’art de servir, d’autre part.
Le film ouvre sur un parc enneigé, au loin, on aperçoit une fillette qui joue dans la neige. Depuis le manoir, quelqu’un l’appelle. Un troupeau de moutons et son berger traverse le plan. On ne verra de l’extérieur pratiquement que cette scène. La suite se passera à l’intérieur, mais jamais dans les pièces des domestiques, qui sont pourtant de tous les plans. Le premier chapitre consacré à Ingrida - épouse d’un militaire -, est un long plan séquence dans lequel elle expose que « la guerre est un mal inévitable » et de continuer en lisant une lettre, pratiquement hors champ, expliquant comment une femme est morte d’effroi devant la barbarie des bachibouzouks.
La mise en scène est époustouflante, chaque scène est ponctuée par les nouvelles toilettes des personnages et par le service du personnel selon l’heure de la journée. Ici, l’on propose à boire, là l’on finit de dresser la table, l’on attend que l’invité ait fini de parler pour le servir. Enfin, l’on éteind les chandelles, l’on replie la nappe. Puis viendra l’heure du thé. Edouard prônera la solidarité entre les Européens et expliquera pourquoi la Russie est la grande frontière de l’Europe…
Un récit linéaire jusqu’au dîner final ? Peut-être pas. Au spectateur de se forger sa propre vision des choses, dans un film où le hors champs est aussi essentiel.
Véronique regoudy-Bazaia
Titre français : Malmkrog
Réalisation : Cristi Puiu
Scénario : Cristi Puiu d'après le roman Trois Entretiens de Vladimir Soloviev
Costumes : Oana Paunescu
Photographie : Tudor Vladimir Panduru
Montage : Dragos Apetri et Andrei Iancu
Pays d'origine : Roumanie
Format : Couleurs - 35 mm - 1,85:1 - Dolby Digital
Genre : drame, historique
Durée : 201 minutes
Dates de sortie : 8 juillet 2020
Distribution
Frédéric Schulz-Richard : Nikolai
Agathe Bosch : Madeleine
Ugo Broussot : Edouard
Marina Palii : Olga
Diana Sakalauskaité : Ingrida
István Téglás : István
Sorin Dobrin :
Simona Ghita :
Judith State :