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affiche Lucky

Lucky

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Un film de John Carroll Lynch ,
Avec Harry Dean Stanton, David Lynch, Ron Livingston,

Genre : Drame psychologique
Durée : 1h28
États-Unis

En Bref

Dans la lueur dorée du désert, la silhouette longiligne avance. Elle abandonne la petite cabane perdue aux allures de celle d’un pionnier, pour le restaurant de la petite ville déserte. Quelques mots-croisés sur le comptoir, la même réflexion sur le sens du monde au patron. Plus tard, après quelques cigarettes, elle erre dans la ville déserte, fantôme fragile. Le temps semble se transformer en purgatoire. Elle jette un « connard ! » retentissant, dans un cercle inconnu, comme chaque jour et finit sa course dans la petite épicerie où Loretta, la patronne, lui sourit. Elle lance quelques plaisanteries canailles à cet amour platonique et reprend le chemin de la petite maison du désert. Là, elle regarde passer le temps entre ses mots-croisés à finir et des émissions de jeux télévisés. Le soir venu, elle finit sa course comme un soleil se levant à l’est et se couchant à l’ouest chez Elaine. Elle parlera du sens du monde avec Howard qui vient de perdre Président Roosevelt, sa tortue de compagnie, partie refaire sa route. Cette dernière est bien plus qu’une tortue centenaire pour son ami. C’est un bout du rien qui remplit tous les jours vides. La silhouette se nomme Lucky, quatre-vingt-dix ans, et toujours bon pied bon œil malgré les nombreux paquets de cigarettes journaliers. Un malaise brise la solitude et la routine, lui rappelant que l’éternité n’existe pas. Il faudra bien sourire à la faucheuse le jour venu.


Lucky est un de ces films qui n’ont l’air de rien et qui pourtant vous saisissent dès les premières images. C’est l’œuvre testamentaire d’un acteur souvent cantonné aux seconds rôles. Elle est tout imprégnée de philosophie et d’histoires personnelles, comme son passé de soldat dans la marine pendant la seconde guerre mondiale. Logan Sparks, l’un des deux scénaristes, est son meilleur ami et lui écrit un rôle sur mesure. Il vous faudra démêler le vrai du faux dans cette histoire pour retrouver celle de l’acteur. Il marque le cinéma par son jeu « innocent et naturel » comme le dit David Lynch. Harry Dean Stanton était persuadé que le monde n’a ni commencement ni fin, que nous sommes prédestinés, que l’ego n’est qu’une illusion. Nous appartenons au vide, nous ne sommes peut-être rien que du vent dans la poussière du cosmos. Nous sommes responsables de nos actes et par conséquent, nous devons vivre l’instant présent en restant nous-mêmes. Il ne nous reste plus qu’à respirer et sourire à la vie. Il construisait sa vision du monde à travers ses lectures de textes majeurs et divers, la kabbale, le bouddhisme, Einstein, Jung et Shakespeare, Othello et Macbeth plus particulièrement.

C’est ce qu’il fit tout au long de sa carrière et c’est la dernière image que nous emporterons de lui à la fin de Lucky. Le dernier plan est un long cactus solitaire posé entre le sable du désert et le bleu du ciel infini. Lucky se retourne, face à la caméra, un immense sourire aux lèvres pour accueillir aujourd’hui, demain, le vieil Ankou. Cela nous ramène à une anecdote partagée un peu plus loin avec un marine. C’est une enfant souriant au soldat américain. Il pensait la délivrer des troupes japonaises sur cette île fracassée. Elle pensait qu’ils allaient la dévorer. Elle acceptait la mort, souriante, car elle savait comme tout bouddhiste qu’elle n’est que Mu (rien ou non-existence). Dans cet instant crucial, le film bascule et permet enfin à Lucky, ce solitaire, d’accepter et de vaincre la dernière peur qui l’obsède. Il ressemble au seul rôle principal de sa carrière, Travis, dans Paris Texas de Wim Wenders. Comme lui, c’est un héros solitaire, condamné à l’errance dans le désert. David Lynch le fera tourner dans cinq de ses films et lui donne la réplique en vieux complice dans le dernier.

C’est un ami réalisateur qui devait être aux commandes. Il laisse la place à un autre acteur de seconds rôles, John Carroll Lynch qui n’a d’ailleurs aucun lien de parenté avec David Lynch. Il comprend que la mise en scène se doit d’être minimale et au service de l’acteur sans en faire trop. Lucky est un équilibre entre la performance exceptionnelle d’Harry Dean Stanton et la fluidité du récit, long fleuve tranquille. Il touche à l’excellence à plusieurs moments, comme dans le bar d’Elaine, temple de la philosophie de la vie. Pour moi, la plus belle séquence est celle de l’anniversaire du petit Juan Wayne où Lucky entonne une chanson de Mariachi. Il nous reste, en bout de piste, ce dernier film et tous ceux où sa silhouette envahit l’écran : de Sam Peckinpah, Arthur Penn, Norman Jewinson, John Ford, John Huston, Terrence Malick, Ridley Scott. C’est encore Francis Ford Coppola, David Lynch, Wim Wenders, et bien d’autres qui comprirent très vite tout le potentiel et le talent d’un acteur sans ego. C’est sans doute cela qui lui permettait de se fondre dans chaque rôle comme une nouvelle promesse.

Patrick Van Langhenhoven  

Note du support : n/a
Support vidéo :
Langues Audio :
Sous-titres :
Edition :


  Titre français : Lucky

    Réalisation : John Carroll Lynch

    Scénario : Logan Sparks et Drago Sumonja

    Photographie : Tim Suhrstedt

    Montage : Robert Gajic

    Musique : Elvis Kuehn

    Pays d'origine : États-Unis

    Format : Couleurs - 35 mm - 2,35:1 - Dolby Digital

    Genre : drame

    Durée : 88 minutes

    Date de sortie : 13 décembre 2017

Distribution

    Harry Dean Stanton : Lucky

    David Lynch : Howard

    Ron Livingston : Bobby Lawrence

    Ed Begley Jr. : docteur Christian Kneedler

    Tom Skerritt : Fred

    Beth Grant : Elaine

    James Darren : Paulie

    Barry Shabaka Henley : Joe

    Yvonne Huff : Loretta

    Hugo Armstrong : Vincent

    Bertila Damas : Bibi

    Ana Mercedes : Victoria