Les Proies

___

Un film de Sofia Coppola ,
Avec Colin Farrell, Nicole Kidman, Kirsten Dunst,

Genre : Drame psychologique
Durée : 1h33
États-Unis

En Bref

Au loin, brisant le silence, tonne le canon. Le pensionnat de jeunes filles semble comme un îlot dans ce monde où le chaos des armes brise les jours heureux. Dans ce vieux Sud profond la violence inonde les champs de coton et les uniformes gris ploient sous les uniformes bleus. Dans la quiétude de la maison, le pensionnat est épargné par la violence extérieure, les damoiselles continuent de vivre comme avant malgré les restrictions. La vie s’écoule entre les leçons pour éduquer ces filles de bonne famille et le tonnerre qui gronde au loin. Pourtant cette paix fragile est brisée par la découverte de la jeune Amy. Un soldat ennemi blessé est à leur merci. Elles décident de le soigner avant de le livrer aux patrouilles confédérées. Loin de la guerre et de la mort, l’ennemi reste un homme blessé comme les pères ou les frères partis au loin.

Peu à peu l’ambiance au sein du pensionnat prend les couleurs des sentiments cachés, refoulés depuis que la violence inonde la campagne. Chacune à leur manière, elles ne restent pas insensibles au charme de cet homme affaibli et immobile. Le temps de l’amour pourrait bien semer le trouble dans les cœurs et la maison perdue, la violence pourrait bien envahir les murs du pensionnat et les âmes des demoiselles. Une autre guerre se prépare et elle n’est sans doute pas moins violente. Chacun joue un jeu trouble où passion et pouvoir luttent pour la liberté et la vie contre la mort et l’emprisonnement.

Sophia Coppola reprend le roman de Thomas Cullinan disponible aux éditions du Rivage, pour en faire une lecture différente sur la même base. L’histoire dans sa narration est la même que celle de Don Siegel en 1971, avec Clint Eastwood. La première image nous montre une jeune fille dans un tunnel de verdure menant à la maison isolée. Elle annonce sa thématique, celle de l’innocence pervertie par l’extérieur. Elles conservaient leur virginité du corps et de l’âme, l’arrivée de ce soldat remet en cause cet équilibre. Depuis Virgin Suicides Sophia Coppola s’intéresse à la confrontation des jeunes filles face au monde extérieur, à la perte de l’adolescence, l’innocence brisée revient souvent dans ses récits. Plus qu’un film de guerre, Les proies est avant tout un récit psychologique où la tension demeure palpable d’un bout à l’autre. Elle subit des variations dues au rapport des demoiselles avec le prisonnier yankee.

Même si elles s’interrogent sur ce qu’est un Yankee, le racisme du premier film disparaît au profit de la confrontation des sexes. Qu’est-ce qu’un Yankee devient plus une interrogation sur ce qu’est l’ennemi en tant qu’individu. Il n’est pas celui que l’on croit. Plus loin elles diront « nous sommes des filles », ce qui paraîtrait banal ailleurs que chez Sophia Coppola. Cette affirmation confirme que le sujet n’est plus le soldat et sa survie dans un milieu qui paraît faible, mais bien la relation homme-femme. Elle décline ainsi des sentiments variés à travers chacune d’entre elles, Amy voit cet homme comme un père, un frère. Elle change d’avis lorsqu’il tue sa tortue et bascule dans le camp adverse. Deux tendances se dessinent, la première liée à la bible et la notion du pardon et d’amour universel, l’autre à la confédération et la haine du nordiste. Edwina aime profondément John McBurney. Dans ce jeu malsain, elle est sans doute la plus sincère, la vierge du temple. Alicia est la Lilith de la bible, la diablesse, la pécheresse, elle évoque ce sexe brulant des prostituées de Babylone. Miss Martha est plus pragmatique, ses sentiments restent dans l’ombre. En bonne chrétienne, elle fait preuve de charité.

Ce sont des figures féminines à la fois antique, biblique et moderne qu’évoque la réalisatrice à travers sa galerie de personnages. La présence d’un homme perturbe la nature de ses jeunes filles, est-ce uniquement une question d’hormones ? John McBurney apporte le mensonge et la jalousie dans ce petit monde tranquille. À la fin c’est le pêché de la chair qui sera amputé dans sa chair, la symbolique devient intéressante. Il rejoint l’extérieur enveloppé dans un suaire et les jeunes filles retournent à leur monde de silence. Les grilles marquent la prison qui les enferme ou est-ce à l’inverse le monde extérieur qui est une prison. Il suffit de prendre la thématique du passage de l’adolescence au monde adulte, et nous connaîtrons la réponse à notre question. Dans ce jeu de lumière et de ténèbres, Sophia Coppola utilise la lumière comme un autre chemin à cette tragédie qui se joue, loin du monde.

Patrick Van Langhenhoven