Charles Adare accompagne le nouveau gouverneur, son cousin, en Australie, colonie anglaise. Il croise la route d’un ancien bagnard, Sam Flusky, devenu un riche propriétaire et de sa femme, Henrietta. Contre l’avis de son cousin le gouverneur, il entretient des relations suivies et même noue quelques affaires avec Sam. Au cours d’un premier diner chez son nouvel ami, il découvre une femme marquée par l’exil cachant un lourd secret qu’il découvrira plus tard. Charles et Henrietta exhument quelques souvenirs d’enfance qui les aideront à se rapprocher. Il est difficile de faire sa place dans cette société marquée par l’étiquette et les origines nobles. Encouragé par Sam, Charles se rapproche d’Henrietta pour tenter de la sortir de la profonde nuit où elle s’enfonce. Il ira même jusqu’à l’inviter au bal du gouverneur, ce qui est plutôt malvenu. La jeune femme reprend de l’énergie et commence même à s’occuper de la demeure. Elle reprend son rôle de maitresse de maison en chassant la gouvernante, Milly. Cette dernière complotera pour retrouver sa place en apportant le chaos. Un drame se noue dans les coulisses, porté par la jalousie, l’envie et des sentiments au cœur de ce trio.
C’est le troisième film en costume d’Alfred Hitchcock, après Le Chant du Danube (1934) et La Taverne de la Jamaïque (1939). Il n’aimait pas trop l’exercice. C’est sa deuxième production indépendante et le dernier film avec Ingrid Bergman. Elle convolera dans les bras de Roberto Rosselini. Le projet est monté pour les beaux yeux de son actrice fétiche. Il fut un échec financier cuisant. C’est celui qu’il regrette le plus d’avoir tourné. Certains critiques l’inscrivent dans une trilogie comportant La Maison du docteur Edwards et Les Enchaînés, déjà avec Ingrid Bergman. Nous retrouvons les mêmes thématiques que dans Les enchainés, d’une femme en rédemption. On se focalise souvent sur l’aspect maitre du suspense chez Hitchcock en oubliant la veine romantique, ces amours impossibles et sublimées. C’est un autre versant de son œuvre qui mériterait que l’on s’y attarde.
Il appartient à ces amours sans espoir que l’on retrouve magnifiées dans the Manxman, Rebecca, La Loi du silence ou Sueurs froides. Nous pouvons nous demander, comme la poule et l’œuf, suspense ou romantisme, quel fut le premier ? Est-ce que, comme Capra, Ford, qui s’essayèrent à d’autres genres, dépité, il revient après Les amants du Capricorne à son genre de prédilection, le suspense avec Le grand alibi (1950) et surtout L’inconnu du Nord Express (1951). C’est l’occasion pour ce vieux malicieux, après La corde, de continuer à explorer les longs plans-séquences et d’autres techniques, trappes, cloisons et plafonds escamotables, mobilier sur roulettes, etc. Le lit de la chambre d’Ingrid Bergman s’incline pour faciliter les gros plans plongeants. Comme toujours, il apparaît deux fois, lors du défilé, écoutant le discours du nouveau gouverneur, et sur les marches de la maison de ce dernier.
C’est dans le jeu des sentiments qu’il se montre intéressant, annonçant déjà une autre facette de son génie. Dans ce film, il continue de déployer le jeu subtil des relations et non-dits dans ce trio classique du mari, la femme et l’amant. De la même manière, il décompose de façon habile le système de classe de Sa Gracieuse Majesté. Ce sont les rapports entre Sam et le reste de la communauté, les domestiques, anciens bagnards et Henrietta, voire Milly la gouvernante et Sam. Il saisit le cœur de cette maison oubliée du bonheur, marquée par une blessure qui l’empêche de s’éveiller. On ne voit pas d’enfants courir dans les escaliers. Les domestiques humilient sans cesse la maitresse de maison, trop fragile pour réagir. La venue de Charles transforme ce monde de fantômes en celui des vivants. On peut le voir comme une déclaration d’amour à Ingrid Bergman, la caméra du réalisateur la met en valeur comme une icône adorée. C’est l’occasion pour le fan du maitre du suspense de découvrir un autre aspect de sa production, tout aussi passionnant.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus :
Alfred Hitchcock par Claude Chabrol (2006, 30')
Présentation de Patrick Brion (inédit, 2019, 9')
Présentation du film au Ciné-Club de Claude-Jean Philippe (inédit, 1975, 5')
Entretien entre Alfred Hitchcock et François Truffaut (inédit, 1962, 12')
Bande-annonce originale (1949, 2')
Titre : Les Amants du Capricorne
Titre original : Under Capricorn
Réalisation : Alfred Hitchcock, assisté de Cliff Owen (non crédité)
Photographie : Jack Cardiff et Paul Beeson, Ian Craig, David McNeilly, Jack Haste
Montage : A.S. Bates
Scénario : James Bridie, d'après le roman de Helen Simpson, adaptation par Hume Cronyn
Musique : Richard Addinsell, dirigée par Louis Levy
Production : Sidney Bernstein (en) et Alfred Hitchcock pour Transatlantic Picture et Warner Bros. Pictures[réf. nécessaire]
Société de distribution : Warner Bros.
Langue : Anglais
Genre : drame en costume.
Durée : 117 minutes
Couleur (Technicolor)
Filmé aux studios MGM à Elstree
Sortie : 8 octobre 1949 (USA) 15 septembre 1950
Sortie DVD: 27 février 2019
Distribution
Ingrid Bergman (VF : Claire Guibert) : Henrietta Flusky
Joseph Cotten (VF : Jean Martinelli) : Sam Flusky
Michael Wilding (VF : Jean Davy) : Hon. Charles Adare
Margaret Leighton (VF : Jacqueline Morane) : Milly
Cecil Parker (VF : Christian Argentin) : le gouverneur
Denis O'Dea (VF : Louis Arbessier) : le procureur général Corrigan
Jack Watling (VF : Claude Bertrand) : Winter, le secrétaire de Flusky
Harcourt Williams (VF : Henri Ebstein) : Le coach
John Ruddock (VF : Pierre Leproux) : Mr. Potter
Bill Shine (VF : René Blancard) : Mr. Banks
Victor Lucas (VF : Roger Rudel) : le révérend Smiley
Ronald Adam (VF : Henri Ebstein) : Mr. Riggs
Francis De Wolff (VF : Jean Brochard) : Major Wilkins
G.H. Mulcaster (VF : Abel Jacquin) : Docteur Macallister
Olive Sloane : Sal
Maureen Delaney : Flo
Julia Lang : Susan
Betty McDermott (VF : Mona Dol) : Martha
Martin Benson (VF : Raymond Loyer) : un officier au bal du gouverneur
Alfred Hitchcock : un homme à la réception du gouverneur