Dans un parc près de Portland, Oregon, un père et sa fille vivent en marge de la ville, de la société. Dans cette presque autarcie, ils s’entraînent à se cacher, pratiquent le camouflage et utilisent les ressources de la forêt pour se nourrir. A cela s’ajoutent quelques incursions à la ville pour se procurer ce que la nature ne peut offrir. Mais l’arrivée des rangers et leurs chiens vient mettre un terme à leur mode de vie. Il est interdit d’occuper ainsi l’espace public. Ils vont devoir affronter une nouvelle existence.
Leave no Trace va à contre-courant de l’Amérique « great again » d’un certain monsieur Trump. Debra Granik nous immerge sans prévenir chez les autres, les différents. Sans donner d’explication, elle nous fait comprendre que Will a été traumatisé par ses années dans l’armée. Il va toucher sa pension, reçoit ses médicaments qu’il revend pour avoir le minimum. Sa blessure, c’est la société trépidante, urbaine, commerciale. Il connait parfaitement la nature, et Tom, en vivant avec lui, a acquis ce savoir. Quand ils sont découverts, les services sociaux sont touchés et surpris de voir le niveau d’éducation de la jeune fille de 15 ans. Tout va être mis en place pour les insérer sans violence, le moins loin possible de leur vie antérieure.
Ces changements n’auront pas le même effet sur le père et la fille. Elle découvre sa différence au contact de ses pairs. Elle questionne soudain les choix de son père. Une fissure s’installe qui risque de se creuser entre ces deux êtres jusque là fusionnels, unis aussi dans la perte de la mère, là encore suggérée plus qu’évoquée.
Debra Granik réalise un film étonnant. Le maitre mot est « respectueux ». Jamais elle ne juge ses personnages. Par petites touches elle met le spectateur devant une situation qui l’oblige à reconsidérer ses propres valeurs. On nous vend comme « universel » le mode de vie urbain consumériste occidental. Le film n’est pas un manifeste new age de plus. Il dit simplement que la société est incapable d’accepter des modèles différents. Il dit aussi que certains traumatismes rendent inopérantes les tentatives d’intégration. Que l’amour ne suffit pas toujours, que certaines séparations sont aussi déchirantes qu’inévitables.
Avec beaucoup de pudeur et de délicatesse, Granik brosse le portrait de deux personnages attachants. Elle nous fait vibrer à leurs peurs, leurs doutes. Elle nous fait sourire à leurs petites joies. Elle montre une adolescente profonde et mature face à un père aimant mais entamé dans son être.
Leave no Trace, contrairement à son titre, laissera une marque profonde et très humaine dans le cœur des spectateurs, bouleversés mais heureux.
Françoise Poul
Bonus:
Interview de l'équipe du film
Dates de sortie : 13 mai 2018 (Festival de Cannes) 44 Festival du cinéma Américain de Deauville, 19 septembre 2018 (sortie nationale)
Art Hickman : le chauffeur routier