« ARGAN - Il dit que c'est du foie, et d'autres disent que c'est de la rate.
TOINETTE - Ce sont tous des ignorants. C'est du poumon que vous êtes malade. »Nous sommes le 17 février 1673, Jean-Baptiste, Poquelin, plus connu sous le nom de Molière, monte sur scène pour interpréter sa dernière pièce, Le malade imaginaire. L'homme est pris d’une forte toux mais continue néanmoins à porter son rôle d'hypocondriaque jusqu'au bout. Il ignore que dans quelques heures, il ne sera plus de ce monde. C'est bien plus que son destin qui se joue sur scène et dans les coulisses. C'est un voyage au cœur du théâtre, du métier de comédien, d'une époque qui les portait au sommet et les méprisait dans la mort. La pièce continue, déroulant une nouvelle farce d'un monde aux couleurs baroque. Les précieuses ridicules aux faces blafardes, dans leurs corsets noirs de veuves, commentent la société à hauteur de leurs perruques poudrées. Les nobles aux couleurs plus vives sortent de la lumière des alcôves, ignorant que se joue le dernier chant de Molière. Les curés, tout de noir vêtus, prient pendant qu'un Cardinal réclame une lettre adjurant toute une vie de comédien. On complote, on fornique, on continue à vivre avec la mort en coulisses attendant son dû. Molière s'enfonce peu à peu dans un dernier crépuscule, avant de rejoindre le paradis des maitres de la plume.
« Ce mesme jour, aprez la comédie, sur les 10 h du soir, Monsieur de Molière mourust dans sa maison, rue de Richelieu, ayant joué le roosle du dit Malade Imaginaire, fort incommodé d’un rhume et fluction sur la poitrine qui luy causoit une grande toux, de sorte que dans les grands efforts qu’il fist pour cracher, il se rompit une veyne dans le corps et ne vescut pas demye heure ou trois quartz d’heures depuis la dite veyne rompue. Son corps est enterré à St Joseph, ayde de la paroisse St Eustache. Il y a une tombe eslevée d’un pied hors de terre. » De Lagrange.
« L'église refuse de donner le viatique (la communion) aux indignes, tels que les usuriers, concubinaires, comédiens et criminels notoires ». Ces amuseurs endossant plusieurs personnalités n'étaient sans doute pas assez fiables pour monter au paradis. Olivier Py nous propose un Molière de sa composition, entre imaginaire et vérité, s'arrangeant avec l'Histoire pour parler de notre époque. Dans les alcôves, chacun joue sa partition d'une fin d'époque qui n'entend pas venir sa fin. Déjà dans l'ombre résonne le chant des libertins et des sans-culottes. La parole devient l’âme de cette composition, qui parfois s'oublie dans une cacophonie au cœur des mots.
Olivier Py emprunte aux pièces de Molière ces figures grotesques qu'il moquera, ouvrant une porte sur le temps du renouveau à venir. Il nous dit dans une interview : « L’idée d’abord de filmer les dernières heures de quelqu’un. Que se passe-t-il lorsqu’on approche de la mort ? J’avais également envie de filmer les coulisses d’un spectacle plus que le spectacle lui-même. Et enfin le rapport entre l’artiste et le politique. ». La caméra, dans un long plan séquence habilement monté, passe des spectateurs empoudrés à la scène où se joue l'agonie d'un malade qui n'est plus imaginaire mais mourant. C'est un portrait du théâtre, des comédiens, de la noblesse, des prêtres refusant l'absolution aux amuseurs publics.
Un monde qui résonne en écho avec notre société des apparences, de la vanité, du pouvoir, et du néant partageant bien plus que Molière et ses farces avec notre époque. On ne reprochera pas à Olivier Py de choisir un Molière amoureux de Baron, l'un des comédiens talentueux que Molière héberge. Cette version, peu crédible, d'un Molière gay a depuis longtemps été oubliée par les historiens. Ce Molière imaginaire finit par se perdre au cœur de la parole et de l'image baroques devenues incompréhensibles. Laurent Lafitte trouve un de ses plus beaux rôles, notamment quand il est sur scène. Le soleil n'éclaire plus personne et la folie vole déjà sur ce monde essoufflé, parodie d'une vie qui, comme celle de Molière, rejoindra bientôt la terre noire des tombeaux. Il ne restera que la légende d'un homme mort sur scène, un joli rêve pour les artistes.
Patrick Van Langhenhoven
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Titre original : Le Molière imaginaire
Réalisation : Olivier Py
Scénario : Olivier Py et Bertrand de Roffignac
Musique : N/A
Décors : Pierre-André Weitz
Costumes : Yvett Rotscheid
Photographie : Luc Pagès
Montage : Lise Beaulieu
Production : Mathieu Verhaeghe et Thomas Verhaeghe
Société de production : Atelier de Production
Société de distribution : Memento Distribution (France)
Pays de production : France
Langue originale : français
Format : couleur
Genre : comédie dramatique, biographie, historique
Durée : 94 minutes
Dates de sortie : 14 février 2024
Distribution
Laurent Lafitte : Molière
Stacy Martin : Armande Béjart
Jeanne Balibar : Madeleine Béjart
Judith Magre : Marquise de Rohan
Dominique Frot : Marquise d'Aiguillon
Catherine Lachens : Marquise de Sablé
Olivier Py : Marquis de Roffignac
Émilien Diard-Detoeuf : La Grange
Gray Orsatelli : le Duc de Bellegarde
Bertrand de Roffignac : Michel Baron
Pierre-André Weitz : La Thorillière
Eva Rami : La Beauval
Jean-Damien Barbin : Chapelle
Céline Chéenne : Catherine de Brie
Christian Morand : Père Martin
Olivier Balazuc : Marquis de Fresquières
Philippe Girard : Archevêque de Paris
Jean-François Perrier : Docteur Rohault
Enzo Verdet : Valet
Jean-Philippe Lafont : Père Poquelin
Marie-Christine Orry : Madame Laforet
Stéphanie Berger : Femme de la Grange
Clément Roy : Le Duc de Guiche