Le Daim n’est pas un film sur un bonbon célèbre, un western, un animal de nos forêts profondes, bien que. Il pourrait être l’histoire de ce dernier errant dans nos campagnes, bousculant la réalité comme un pneu (sujet d’un précédent film de Dupieux). Le Daim commence comme une histoire de Coluche. C’est l’histoire d’un mec amoureux d’un blouson à la Buffalo Bill. Georges, un brave type, achète à un prix exorbitant, mais quand on aime on ne compte pas, un blouson en daim. Pour lui ce n’est pas un vêtement banal, c’est tout un poème, une histoire à construire, un talisman. Quand il l’enfile, il devient un autre homme. Par un concours de circonstances particulières, il se retrouve dans un hôtel paumé au fin fond de nulle part. La barmaid passe son temps à remonter des films connus. Elle rêve d’être monteuse de cinéma. Georges se fait passer pour un réalisateur en pleine fabrication improbable. Il n’en faut pas plus à Denise pour rejoindre l’aventure et lui donner une tournure sens dessus dessous. Ces deux-là réinventent le monde et poursuivent une route surréaliste.
« Style de malade » dit Georges en parlant de son nouveau look.
Quentin Dupieux se fait connaître avec Steak, son premier long métrage, reconnaitre par Rubber, l’histoire d’un pneu semant la pagaille sur sa route, et obtient la consécration avec Au Poste ! Il revient avec un film surréaliste comme à son habitude, plus épuré et toujours aussi surprenant. Il construit une œuvre à contre-courant, pleine de non-sens que les pataphysiciens ne renieraient pas. Très vite, l’univers normal part en vrille et suit une route de plus en plus folle. Derrière cette folie se cache un regard juste sur notre société, ses phobies, ses illuminations, et sa folie douce, voire sauvage. Les dialogues sont sens dessus dessous, arabesques surréalistes et lapidaires. Ils font mouche comme le fleuret, et le bon mot de Cyrano. Égoïste, inculte, misogyne, Georges rejoint la galerie des grandes figures de l’univers de Dupieux.
Jean Dujardin excelle dans le rôle d’un idiot inquiétant emporté par sa phobie. Dans cette lignée, il construit à chaque fois un film différent n’empruntant jamais la même route. Cette fois plus que le récit en décalage, c’est le personnage lui-même possédé par l’objet qui devient le centre de l’histoire. Un duo implacable se forme avec Denise, l’excellente Adèle Haenel. Elle semble au départ plus saine d’esprit. Très vite, comme le dit Quentin Dupieux, nous nous apercevrons qu’elle est aussi folle que lui. Cette construction du non-sens n’échappe pas à une certaine logique. L’obsession prend le pas sur le monde vrai pour conduire les deux héros dans un univers personnel nous échappant. Derrière se cache une réflexion sur le cinéma indépendant, de la difficulté de financement au tournage, scénario, mise en scène, trame du récit. Il existe pourtant une construction rigoureuse, à l’image des personnages du film.
Le Daim commence comme un film noir façon Série noire d’Alain Corneau avec son image travaillée comme un brouillard obscurcissant l’esprit. Il s’achève par un caprice d’enfant virant à la schizophrénie, plus qu’au fétichisme. Il devient plus inquiétant dans son basculement du rire au parcours de la folie intérieure. À la fin, nous chercherons quand la réalité a basculé, ouvrant les portes d’une autre perception. Nous pourrions le voir comme la mue, le changement de peau se rapprochant de La piel que habito. Il dévoile un réalisateur maitrisant son sujet parfaitement, bâtissant film après film une œuvre complexe qu’un psychanalyste adorerait disséquer. Il analyse par le chaos, avec justesse, les travers inavoués d’une société moderne en quête de sens. Il faut se laisser porter, accepter que le non-sens devienne une réalité normale pour savourer Le Daim. Vous pensez bien que nous adorons ce genre de film, extra-terrestre filmique dans un monde où tout doit être bien lisse.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus
Commentaire audio de Quentin Dupieux
Bande annonce
Titre original : Le Daim
Réalisation, scénario, photographie et montage : Quentin Dupieux
Son : Guillaume Le Braz
Décors : Joan Le Boru
Costumes : Isabelle Pannetier
Production : Arte France Cinéma, Thomas Verhaeghe et Mathieu Verhaeghe
Sociétés de production : Atelier de production1 avec la participation d'Arte France Cinéma
Distribution : Diaphana (France)
Pays d'origine : France
Langue originale : français
Genre : comédie
Format : couleur
Durée : 77 minutes
Dates de sortie : 15 mai 2019 (Festival de Cannes - Quinzaine des réalisateurs), 19 juin 2019 (sortie nationale)
Distribution
Jean Dujardin : Georges
Adèle Haenel : Denise
Youssef Hajdi : Olaf
Albert Delpy : Monsieur B
Julia Faure : Jeanne
Marie Bunel : Kylie
Thomas Blanchard : Michael
Tom Hudson : Yann
Pierre Gommé : Nicolas
Laurent Nicolas : Norbert
Coralie Russier : Vic
Stéphane Jobert : Adrien
Franck Lebreton : David
Panayotis Pascot : Johnny
Maryne Cayon : Zita