« C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons. » Le dormeur du val Rimbaud.
On pique-nique au bord d'une rivière paisible coulant ses jours heureux, comme cette famille, vers la mer. Une famille allemande ignorant la tourmente continuant à mener une existence ordinaire dans un monde qui ne l'est plus. Madame s'occupe de son jardin, verse quelques cendres, engrais pour ses plantes venues de l'autre côté du mur. Les enfants jouent, courent dans la maison où de nombreux domestiques œuvrent à sa bonne tenue. Ils retournent chez eux le soir venu, franchissant le mur. Monsieur s'absente, revêtant son uniforme gris pour donner ses ordres et diriger, comme tout bon entrepreneur, le génocide orchestré par son gouvernement. Il met du cœur à l'ouvrage, réunissant d'autres techniciens pour rendre plus performants ses objectifs. Tout ceci pourrait être un monde ordinaire, de nos jours ou d'hier si, dépassant du mur, à peine visibles, les cheminées ne dévoilaient toute l'horreur d'un monde obscur.
« Le charmant séjour passé à la maison Höss fera toujours partie de nos plus beaux souvenirs de vacances »« La zone d'intérêt » décrivait les 40km carrés entourant Auschwitz-Birkenau, sur le territoire de l'actuelle Pologne. Contrairement à d'autres fictions sur la Shoah valorisant l'héroïsme, la survie, ce sont ces scènes de vie ordinaire, au cœur de l'antre de la mort horrifiante, qui nous blessent. C'est une nouvelle page sur l'indicible horreur, dévoilant une nouvelle facette glaçante. Nous pouvons le rapprocher du Fils de Saul de László Nemes en 2015 jouant, comme la Zone d'intérêt, d'un montage hors-champ, images et sons notamment. Nous prenons conscience d'une folie ineffable, qu'aucun mot ne traduirait jamais dans l'échelle de la barbarie humaine. La zone d'intérêt s'ouvre sur une image bucolique, baignant dans une lumière paisible d'un dimanche au bord de l'eau. C'est par petites touches, que le spectateur finit par comprendre que la petite maison n'est pas dans la prairie mais en enfer. Madame gère la demeure d'une main de fer, s'occupe du jardin et des nombreux domestiques qu'elle rudoie. Peu à peu les sons s'accrochent à notre imagination, nourrie des films, des témoignages et documentaires précédents.
Ils dévoilent toute l'horreur que nous ne verrons pas mais nous la ressentirons comme jamais. Nous pensions avoir tout vu. Il n'en est rien. Cette solution extrême n'est pas celle de monstres, mais de gens ordinaires. Ils vivent dans l'insouciance, insensibles à la mort qui hurle derrière le mur. Les scènes se succèdent dans une galerie des jours tranquilles. La mère vient visiter sa fille et découvre peu à peu ce qui se passe de l'autre côté. Elle finira par écourter son séjour. Chaque matin, Rudolf Höss enfile son uniforme pour devenir le chien de garde hurleur de la mort. Il revient le soir pour jouer, comme un père ordinaire, avec ses enfants. C'est bien ce décalage, à deux pas de l'innommable et de la souffrance, qui nous glace. « Ça laisse à penser que ces gens sont, non pas des monstres, mais bien des gens comme les autres. Comment des gens comme les autres peuvent-ils agir de la sorte ? Comment se serait-on comporté à leur place ? A quel point leur ressemble-t-on ? » s'interroge Jonathan Glazer.
La zone d'intérêt montre bien le chemin de la haine poussé à son extrême, en s’appuyant sur un quotidien d’une terrifiante banalit. Christian Friedel, Sandra Hüller, sont remarquables dans des rôles difficiles, incarnant la froideur, l'obéissance, l'abus de pouvoir, l'ambition, voire une certaine jouissance. La mise en scène s'appuie sur la lumière et ces images improbables, des cendres comme une neige des mourants tombant des cheminées d'usines, du néant à deux pas. C'est un petit jardin où l'on déverse des cendres sur les légumes et les fleurs. C'est un manteau que l'on essaye et fait admirer à ses copines. Que du banal qui prend une couleur noire par son hors-champ, le non-dit dissimulant l'autre côté du mur, l'autre face de Janus. Le travail est identique sur le son, les cris, les aboiements, les tirs, les grondements agaçant des fours, etc. Une fois de plus, ce film devrait nous mettre en garde contre un monde basculant du jardin d'Eden à l'enfer. Pour conclure, il faut bien comprendre que nous avons à faire à des petits bourgeois provinciaux, ambitieux, ordinaires, des gens comme nous, nous dit le réalisateur.
Patrick Van Langhenhoven
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Titre original : The Zone of Interest
Titre francophone : La Zone d'intérêt
Réalisation : Jonathan Glazer
Scénario : Jonathan Glazer, d'après le roman du même nom de Martin Amis
Musique : Micachu
Direction artistique : Joanna Kus et Katarzyna Sikora
Décors : Chris Oddy
Montage : Paul Watts
Montage son et sound design : Johnnie Burn [archive]
Photographie : Łukasz Żal
Production : Ewa Puszczyska et James Wilson
Production exécutive : Reno Antoniades, Len Blavatnik, Danny Cohen et Tessa Ross
Sociétés de production : A24, Access Entertainment et Film4
Distribution : A24 (États-Unis, Royaume-Uni), BAC Films (France)
Pays de production : États-Unis, Royaume-Uni, Pologne
Langues originales : allemand, polonais
Format : couleur
Genre : guerre, drame
Durée : 106 minutes
Dates de sortie5 : 19 mai 2023 (festival de Cannes) 31 janvier 2024
Distribution
Sandra Hüller : Hedwig Höss
Christian Friedel : Rudolf Höss
Max Beck : Schwarzer
Ralph Herforth : Oswald Pohl
Stephanie Petrowitz : Sophie
Marie Rosa Tietjen
Sascha Maaz
Lilli Falk : Heidetraut