Depuis quelques années, le film de migrants devient un genre en soi. Stéphane Marchetti nous vient du documentaire, et La tête froide n'échappe pas à une vision réaliste au cœur de la fiction. Il a la bonne idée de confronter deux précarités, celle du migrant et celle de Marie, tous les deux invisibles, à la marge. Ce sont d'abord les petits trafics qui permettent de ne pas sombrer, souvent limites, à la frontière d'une vie ordinaire, sans fard. Marie travaille dans un café le soir, femme libre, elle s'émancipe des cadres de la société. C'est le prix fort qu'elle paye pour un chemin sur le fil du rasoir. Souleymane vient d'ailleurs, de ces pays lointains qui ne font plus rêver personne, et surtout pas leurs habitants. Il souhaite une vie meilleure pour lui et sa petite sœur qui attend à Calais de franchir la Manche pour une autre illusion.

Les deux âmes perdues trouvent une combine qui devrait permettre à Souleymane de rejoindre sa sœur avec de quoi payer le passage et à Marie de vivre mieux. On ne saura pas si Marie agit par opportunisme, pour l'argent ou par humanisme ? Stéphane Marchetti ne nous donne pas de leçon mais saisit, à un instant donné, la vie de ses deux personnages. Il ne s'embarrasse pas non plus d'effets de manche et préfère un film tout en nuances, plongé dans la réalité du quotidien parfois blafard. Il inscrit les lieux comme un autre personnage, renforçant l'isolement et l'abandon de personnes qui rêvaient mieux. Le camping fermé accentue la précarité et la chute de Marie que l'on imagine avoir eu des jours meilleurs. La forêt profonde, les sommets enneigés et la frontière à franchir pour trouver un horizon différent marquent l'espace des ténèbres, loin de la lumière.

Ce n'est souvent que tomber de Charybde en Scylla, d'une chose dure à vaincre vers une autre encore plus difficile à battre. Dans cette trame, Marchetti glisse la difficulté de passer la frontière, souvent pour une autre bien plus lointaine. On s'aperçoit que Marie et Souleymane sont d'abord prisonniers de leurs propres tourments. Il faudra dépasser cette frontière intérieure pour espérer peut-être, de nouveau, le bonheur du monde. La tête froide repose sur ses acteurs et tout d'abord Florence Loiret-Caille dans un rôle qu'elle porte au sommet. Elle nous montre tout le talent pressenti dans ses autres films. Le jeune Souleymane est une belle surprise dans un premier rôle peu facile. La tête froide se démarque en nous montrant que ces deux précarités ne sont pas si éloignées et que nous avons encore beaucoup de chemin à faire vers l'autre.    

Patrick Van Langhenhoven

 Titre original : La Tête froide
    Réalisation : Stéphane Marchetti
    Scénario : Stéphane Marchetti et Laurette Polmanss
    Musique : Adrien Casalis
    Décors : Charlotte de Cadeville
    Costumes : Marta Rossi
    Photographie : Sebastien Goepfert
    Son : Yolande Decarsin, Vincent Verdoux et Josefina Rodriguez
    Montage : Damien Maestraggi
    Production : Bertrand Gore
    Sociétés de production : Le Bureau, Blue Monday Productions et Auvergne-Rhône-Alpes
    Société de distribution : UFO Distribution
    Pays de production : France
    Langue originale : français
    Genre : Thriller dramatique
    Durée : 92 minutes
    Dates de sortie : 17 janvier 2024

Distribution
    Florence Loiret Caille : Marie
    Saabo Balde : Souleymane
    Jonathan Couzinié : Alex
    Aurélia Petit : la responsable du centre d'accueil
    Marie Narbonne : Chloé
    Philippe Frécon : Monsieur Bento
    Souleymane Touré