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affiche La mécanique de l’ombre

La mécanique de l’ombre

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Un film de Thomas Kruithof ,
Avec François Cluzet, Denis Podalydès, Sami Bouajila,

Genre : Espionnage
Durée : 1h33
France

En Bref

Duval est un brave type obéissant qui aime les choses bien ordonnées. Depuis quelque temps il se relève d’une tempête vide où plus rien ne semble le porter vers l’avenir. Entre son cercle de parole et sa recherche d’emploi, il échappe à ses démons et sa solitude. Il reprend la route des vivants et ce nouveau travail de retranscription proposé par cet industriel mystérieux semble lui convenir. Il est l’homme idéal pour ce boulot où l’obéissance est de mise. Petite abeille ouvrière fidèle dans la chaine, il exécute sans poser de questions. Homme ordinaire dans une vie ordinaire, le temps s’écoule sans vague à la surface de l’océan de la vie. Pourtant l’arrivée d’un autre agent bouscule le ronronnement du quotidien et l’entraine sur des pistes où le petit homme commence à s’interroger. Peu à peu il prend conscience d’un univers particulier auquel il ne pourra pas échapper. Les cassettes deviennent des mots qui prennent un sens et dévoilent la face de la mécanique de l’ombre. Il devra choisir son rôle et sa place au sein de cette vaste machine, mouton ou loup.


Premier long métrage de Thomas Kruithof et premier coup de maitre d’un réalisateur nourri au cinéma. Comme il nous le disait : « La toile de fond du récit s’inspire librement de plusieurs crises ou complots, avérés ou supposés, qui ont eu lieu en France ces trente dernières années : la crise des otages du Liban dans les années 80, les carnets de Takieddine. Et plus largement, le soupçon d’instrumentalisation des services secrets à des fins politiques qui flotte dans l’actualité du pays ». Il n’est pas nécessaire d’en connaître le fond pour se laisser porter par cette intrigue où un homme ordinaire montre les crocs pour s’en sortir. Loin du thriller à l’américaine, nous retrouvons avec plaisir le cinéma profond de l’âge d’or du film d’espionnage. De Sur écoute à Melville Le samouraï, la notion de l’espace et du temps déroulant une toile où derrière le vide et le silence se nouent des enjeux cruciaux. C’est d’abord la route d’un homme ordinaire qui ne pose pas de questions. Obéissant, il souhaite juste retrouver un semblant de vie. La séquence d’ouverture nous dévoile un Duval obsédé par l’ordre, le classement, ce qui lui vaut son licenciement. Elle est l’ouverture d’une symphonie du monde de l’ombre qui peu à peu nous entraine de l’ordre au chaos ordonné. Ce qui nous a fait dire au réalisateur que nous étions peut-être dans un film quantique, comme la physique. Dans la première partie, François Cluzet, toujours à l’écoute de ses personnages, construit un homme simple, méticuleux dont le seul passe-temps semble la réalisation de puzzles.

C’est presque un fantôme de l’existence que l’on ne remarque pas et que nous croisons pourtant chaque jour. Dans un premier temps, il effectue son travail comme un bon petit soldat sans se poser aucune question. Plus nous pénétrons en sa compagnie au cœur de l’ombre, plus nous découvrons une machine complexe où chaque rouage maintient l’équilibre. C’est bien quand il s’interroge et prête attention au contenu des cassettes qu’il retranscrit que tout dérape. Il ouvre une porte comme Anne dans la maison de Barbe bleue. Le film bascule dans l’espionnage, le suspense et le complot d’état avec toute sa problématique et la parano que le réalisateur nous livre avec parcimonie au fur et à mesure du récit. Tout à coup, les choses prennent un sens différent dans un puzzle du jeu des miroirs et des apparences, des non-dits où chaque chose ordonnée semble plus chaotique. C’est un mélange de jeu d’échec, de poupées russes, de puzzle où chaque séquence dévoile une partie de l’ensemble. C’est un premier coup de maitre pour un réalisateur jouant de l’ombre et la lumière dans sa mise en scène, du jeu de cache-cache où le gros plan masque une autre réalité. La première bonne surprise de ce début d’année, à ne pas manquer.

 Patrick Van Langhenhoven 

Note du support : n/a
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CR : Avez-vous voulu raconter l’histoire d’un homme ordinaire qui brusquement devient un héros ?

Thomas Kruithof : Je le vois plutôt comme un héros plongé dans une aventure qui le dépasse et qui va progressivement retrouver des forces en lui pour combattre la machine à laquelle il fait face. Ce qui m’intéresse chez ce personnage, c’est son opacité, son mystère et son contrôle. C’est aussi son aliénation dans le travail, que chacun d’entre nous peut connaître aussi. Il a besoin de ce travail pour se reconstruire, et la question est de savoir jusqu’où il ira, sans questionner ce travail et les mensonges qu’on lui raconte. S’interroger sur le sens de ce que l’on fait, cela est arrivé à tout le monde.

CR : Qu’est-ce qui vous fascine et vous intéresse dans les officines secrètes ?

Thomas Kruithof : L’infiltration, la manipulation et la trahison sont des matières éminemment cinématographiques. Et puis, le cinéma d’espionnage comme la littérature d’espionnage permettent de raconter quelque chose de l’état du monde et des coulisses de la politique.   Ce qui m’intéresse dans les personnages, c’est l’opacité et le mystère, le contrôle et son obsession. C’est contrôler, ce que l’on dit. C’est ce que l’on voit avec celui qu’incarne Denis Podalydès. C’est un méchant fascinant sur lequel le spectateur échafaude des choses. 

 Mais j’avais surtout envie, même s’il y a un background politique, de faire un film d’espionnage intérieur.  Je voulais traiter des rapports entre les services secrets et la raison d’État utilisés à des fins d’ambition politique et personnelle. Tout en sachant que ce sont des humains avec leurs propres désirs. 

CR : Qu’y a-t-il de vrai dans votre film ?

Thomas Kruithof : Je me suis inspiré d’affaires secrètes, les carnets de Takkiedine, ceux du général Rondot, ceux d’Yves Bertrand, de l’affaire de la libération des otages au Liban dans les années 80, même de Snowden. Le film est irrigué par ces affaires, mais je n’ai pas cherché à les reconstituer. Je m’intéresse plus aux rapports humains et aux jeux de pouvoir qui se trament entre les protagonistes de mon histoire. Le rapport à l’obéissance est une thématique toujours présente dans le film. Comme celle du héros, jusqu’où obéit-il ? Après, nous sommes dans un monde de cloisonnement. Je te donne uniquement l’information dont tu as besoin. Tu dois faire avec ça, comme dans le travail. C’est une forme d’aliénation. Le personnage a besoin de ce travail. Il l’aide à se reconstruire. Jusqu’au moment où il questionne les ordres, les histoires qui lui sont donnés. Tous les rapports entre les protagonistes sont ceux de la force ou de la domination. Ils ont tous un boss au-dessus, ce qui peut faire ressembler au monde du travail.

CR : vous êtes parti avec des désirs de mise en scène très précis.

Thomas Kruithof : C’est le genre de film réclamant de la précision. On joue avec le questionnement du spectateur en distillant de l’information tout au long du film. La première règle, c’est d’être au niveau de François. Nous en savons autant que lui, nous nous posons les mêmes questions. On vit intellectuellement et sensoriellement avec lui. Après, je voulais que La mécanique de l’ombre parte de la réalité et bascule progressivement vers un monde souterrain un peu parallèle, étrange. Il se déshumanise au fur et à mesure. Les lieux évoluent, ils deviennent de plus en plus inquiétants, des endroits de pouvoir. J’avais envie, sur ce personnage enfermé, de faire un film en scope, d’un homme dans un labyrinthe. J’ai épuré pour aller à l’essentiel, tout ce qui est là l’est pour une raison. Il commence dans la réalité, bascule dans le film noir, les ombres arrivent, et on va vers la nuit. J’utilise des contre- plongées. On se pose des questions, est-ce que c’est un hasard, la paranoïa monte et, au bout d’un moment, on en vient à douter de tout. Au départ, pour le personnage de François, j’avais envie de le voir à travers sa relation au travail et à l’obéissance. Il est consciencieux jusqu’à l’extrême et c’est un de ses problèmes.

 CR : Quelles sont les exigences d’un rôle comme celui-là ?

François Cluzet : C’est le travail en amont pour essayer de comprendre les méandres par lesquels il passe. On a essayé de tourner dans la chronologie et en même temps, c’est important d’avoir cette montée chromatique de son anxiété. Les contraintes, c’est aussi le fait que rien ne passe par le dialogue. C’est un taiseux, les choses se passent dans sa tête. Il faut les penser très fort pour qu’elles soient lisibles dans les yeux, la peur, mais pas uniquement, tout son questionnement ! Très rapidement il se demande qui est qui. Ceux à qui il a cru faire confiance sont de l’autre bord, finalement tout le monde est louche. Ce qui était passionnant pour nous, c’est d’avoir ce scénario très abouti. C’est d’avoir un point de vue du metteur en scène très aigu, très précis, très exigeant. Nous avons beaucoup travaillé en amont et ensuite essayé de vivre la situation sans la jouer, pour que l’on puisse s’identifier au maximum aux interprètes parce qu’ils sont vivants. Finalement, comme toujours, c’est plus dans la salle que l’on joue qu’à l’écran. Quand les acteurs jouent sur l’écran, dans la salle, il n’y a plus rien. C’était le bon moment pour avoir quelque chose de très sobre.

CR : Tout était dans le scénario ?

François Cluzet : Tout était là. J’avoue que les décors étaient lourds, tout cela me comprimait. Plus on avançait dans le film, plus je sentais l’étau se resserrer. C’est une situation très désagréable de se sentir comprimé de plus en plus. Plus on avançait dans le tournage et plus les décors étaient noirs, et plus la nuit arrivait. Les optiques, les cadres m’enfermaient dans quelque chose. C’était très indicatif pour le jeu finalement.

CR : Comment ressent-on la question de la surveillance quand on a un métier où on est scruté en permanence ?

François Cluzet : Moi je ne m’occupe pas trop d’être scruté à vrai dire. C’est le problème des spectateurs. Nous les acteurs, nous sommes des exhibitionnistes. Il faut se méfier du narcissisme, de l’égo hypertrophié. J’essaye de faire mon boulot le mieux possible. J’ai beaucoup réfléchi parce que je suis passionné. Je pense que le rôle de l’interprète c’est uniquement d’être vivant. C’est pour cela que depuis très longtemps, je ne joue plus. Le rôle de l’interprète ce n’est pas de jouer, c’est de vivre les situations. Bien sûr elles sont vécues sur commande parce qu’elles sont reliées au script. C’est cela qui me plait. C’est finalement un accident permanent, comme quand on est dans la rue, la nuit, quand on va tomber… J’aime bien cette idée de vivre les situations et c’est tout, de ne ramener aucun grain de sel là-dedans. Longtemps cela m’a fait peur. J’ai pensé, il ne va rien se passer. Je me suis rendu compte que c’était le contraire. Intouchables m’a beaucoup appris là-dessus comme je n’ai pas de corps. Je suis plutôt un acteur physique. L’autre jour j’ai entendu une anecdote. C’est un acteur américain et le réalisateur lui dit de jouer un peu plus expressionniste. L’acteur lui dit non, mais toi tu peux rapprocher ta caméra. 

CR : Le décor est important pour vous ?

François Cluzet : C’est essentiel à partir du moment où il est en harmonie ou en désaccord. C’est notre partenaire principal. Nous avons essayé de créer une atmosphère particulière. Il n’y a pas beaucoup d’objets, on entend des drôles de bruits, on questionne leur origine.

CR : Il ne vote pas.

Thomas Kruithof : C’est un personnage qui est dans sa cuisine, dans ses propres limites. Au fur et à mesure, il pousse non seulement les murs, mais trouve une force intérieure et mentale pour comprendre toute cette histoire et son lien. C’est aussi tout ce parcours d’un petit éveil politique. Il explose ses limites et élargit son champ en tant que citoyen. Cela me paraissait évident qu’il ne vote pas.

CR : Qu’est-ce que vous êtes allez chercher chez François et qu’attendez-vous de lui ?

Thomas Kruithof : Il y a une chose que je n’attendais pas et que j’ai eue. C’était merveilleux. Pour un rôle comme ça, toute sa manière d’envisager le métier c’est magnifique. Je considérais que si on voulait bien être radical et honnête avec le personnage, il fallait un acteur qui ait une grande capacité d’expression pour jouer ce mutisme, ce contrôle. François apporte une humanité supérieure, une variété dans les scènes, toutes ces petites couleurs dont il parle. Elles font que l’on est dans une petite nuance différente de l’émotion, cette capacité à nous donner accès à ses états d’âme tout en gardant un personnage qui se retient avec subtilité. C’est notamment pour cela que je suis allé le chercher. Quand on en parlait, même si le héros ne parle pas beaucoup ; il arrivait que François coupe des dialogues ou que j’en enlève au montage. C’est un film de regards, de silences et de manipulation. François et les autres acteurs font passer des choses dans les scènes. C’est ce qui arrive quand vous mettez des grands acteurs entre eux. Moi je me retiens parfois de jubiler. Quand on tourne un film, c’est mon premier, il faut être droit, sec. Il ne faut pas se laisser aller. Mais je vois François qui joue avec Denys et la variation de l’un entraine la variation de l’autre. C’est organique, les prises sont différentes et toutes bonnes. C’était important.

CR : vous avez joué avec cette idée de vide plein ?

François Cluzet : Il encaisse, un bon boxeur. C’était très intéressant le fait qu’il sorte du chômage, de l’inutilité. C’est cela le plus douloureux dans le chômage, ne servir à rien. Il saisit cette opportunité d’abord par ce que le job est bien payé. Il sera considéré ne serait-ce que par la paye. On lui demande une certaine confidentialité, ce qui explique le salaire. Il a une forme d’obéissance, de conscience du travail bien fait. Il ne se pose aucune question. C’est juste quand il se rend compte qu’il est en possession de documents secrets et pas d’affaires criminelles, quand il sent qu’à son tour, il risque d’être instrumentalisé qu’il prend peur. Et c’est à ce moment que ça se resserre de plus en plus. Il y a vraiment un délire de paranoïa chez lui, à juste titre. C’était très intéressant, comme toutes les scènes, tout seul dans l’appartement, avec le décor comme partenaire. Il y avait quelque chose de déjà oppressant. J’avais l’impression que le personnage était d’une neutralité folle, comme s’il ne se sentait pas concerné. C’est un solitaire avec une vie assez triste.

CR: avec le puzzle

François Cluzet : J’allais y venir. Quand on est arrivé dans la cuisine avec le puzzle en vrai… Il ne peut pas faire autre chose ? Ecouter la radio ? Non ! Cela m’a servi, ça renforce sa solitude et cette quasi-misère dans laquelle il vit.

CR : Il y a son obsession de l’ordre au sens propre comme au figuré, avec cette scène forte du début. Quand la cuisine est saccagée, ce qui le gêne, c’est le puzzle déconstruit plus que le reste.

François Cluzet : C’est une image très parlante

Thomas Kruithof : Après, moi je pense que l’ordre et le chaos existent beaucoup dans le film.

    •       Titre : La Mécanique de l'ombre

    •       Réalisation : Thomas Kruithof

    •       Scénario : Yann Gozlan, Thomas Kruithof, Marc Syrigas et Aurélie Valat

    •       Musique : Grégoire Auger

    •       Montage : Jean-Baptiste Baudoin

    •       Photographie : Alexandre Lamarque

    •       Décors : Thierry François

    •       Costumes : Christophe Pidré

    •       Producteur : Matthias Weber et Thibault Gast

    ◦       Coproducteur : Geneviève Lemal

    ◦       Producteur associé : Arlette Zylbergberg

    •       Production : 24 25 Films

    ◦       Coproduction : Scope Pictures

    •       Distribution : Océan Films

    •       Pays d'origine :  France et  Belgique

    •       Durée : 93 minutes

    •       Genre : Thriller

    •       Dates de sortie : 11 janvier 2017

Distribution

    •       François Cluzet : Duval

    •       Denis Podalydès : Clément

    •       Sami Bouajila : Labarthe

    •       Simon Abkarian : Grefaut

    •       Alba Rohrwacher : Sara

    •       Philippe Résimont : De Grugy

    •       Daniel Hanssens : Albert

    •       Bruno Georis : le bras droit de Labarthe

    •       Alexia Depicker : la DRH

    •       Vincent Pannetier : l'agent de la D.G.S.I.