Saget, l’ennemi numéro 1, est de nouveau en fuite. Il échappe au filet tendu par la police et se retrouve perdu en pleine campagne. Le hasard aime les crapules et met sur sa route Ludovic Mercier, un enfant revenu au village après avoir fait fortune en Amérique. Le gangster voit l’opportunité de changer d’identité et de se terrer dans le patelin perdu. C’est sans compter avec le médecin opportuniste qui comprend qu’il y a anguille sous roche. Il profite de la situation pour faire quelques travaux, une nouvelle clinique, un nouveau stade, une cloche neuve, etc. Ludovic Mercier, ex-Saget, se sent pris au piège et voit son pactole fondre comme neige au soleil. Il peut compter sur Isabelle, une jeune fille mise à l’écart par les braves gens, pour tenter de renverser la situation. La question est : Peut-on pactiser avec la fille du diable ? Isabelle voue un culte à Saget, mais il ne reste peut-être plus rien de l’ennemi numéro 1.
Grâce à la restauration soignée des films du catalogue Pathé, c’est l’occasion de redécouvrir des réalisateurs tombés dans l’oubli. Henri Decoin est l’un de ceux-ci. Il est inclassable, se confrontant à tous les genres avec succès. La fille du diable marque sa deuxième collaboration avec Pierre Fresnay, après Les Inconnus dans la maison (1941). Il connaitra, comme l’acteur, quelques soucis avec la Résistance pour sa participation pendant l’occupation avec la Continental. Il connaissait Alfred Greven, le représentant allemand, bien avant la guerre. À l’époque, des réalisateurs français travaillaient en étroite collaboration avec l’Allemagne sur des versions françaises. Comme Le Corbeau avec Pierre Fresnay, Les Inconnus dans la maison seront interdits sur les écrans français à la Libération. La fille du diable pourrait s’apparenter à un film noir plus qu’à un film policier. Ce qui intéresse le réalisateur, c’est le changement d’identité et les réactions des personnages comme Isabelle.
En prenant un autre nom, le dangereux criminel se transforme de l’intérieur. Il n’est plus cet homme craint par tous, l’ennemi numéro 1. Il devient Ludovic Mercier, un brave garçon de retour au pays. Le film s’ouvre sur une séquence rappelant Le jour se lève de Marcel Carné en 1939. La fille du diable joue sur l’ombre et la lumière. Les visages apparaissent et disparaissent dans des halos, entre dieu et diable. Saget espère trouver dans ce village plus qu’une planque, la fin d’une cavale et l’espérance d’une vie ordinaire. Il est toutefois pris entre le docteur profitant de la situation pour lui extorquer des fonds pour le bien de tous et son ancienne identité. Andrée Clément trouve un rôle à sa mesure. Elle est exceptionnelle. Son personnage est atteint de la tuberculose, qui l’emportera vraiment à l’âge de 35 ans.
Elle vole la vedette par sa présence à Pierre Fresnay. Son personnage, déçu par son idole, ira jusqu’à la trahison, espérant réveiller la bête qui sommeille. Est-ce que l’on peut voir dans l’attitude de certains habitants celle de l’occupation ? C’est la transformation du mal en un citoyen ordinaire rattrapé par son destin. Peut-on faire le parallèle avec tous ceux qui rentreront dans l’ombre, oubliant les années sombres, tous ces diables qui deviendront de gentils citoyens ? Si on adopte ce point de vue, contrairement à ce qui se dit, La fille du diable, avec son aspect manichéen de la lutte du bien et du mal aurait bien plus de points communs avec cette période sombre.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus :
Entretiens autour du film avec Yves Desrichard et Didier Griselain
Titre : La Fille du diable
Titre alternatif : La Vie d'un autre
Réalisation : Henri Decoin, assisté d'Andrée Feix et Hervé Bromberger
Scénario : Henri Decoin, Alex Joffé et Marc-Gilbert Sauvajon
Décors : Raymond Nègre et Henri Sonois
Photographie : Armand Thirard
Montage : Annick et Charles Bretoneiche
Musique : Henri Dutilleux
Pays d'origine : France
Format : Noir et blanc - 1,37:1 - Mono - 35 mm
Genre : Drame
Durée : 105 minutes
Date de sortie : 17 avril 1946
Dates de sortie vidéo : 30 mars 2022
Distribution
Pierre Fresnay : Ludovic Mercier / Saget
Fernand Ledoux : le docteur
Thérèse Dorny : tante Hortense
Robert Seller : le maire
Paul Frankeur : l'aubergiste
Nicolas Amato : le brigadier
André Wasley : le garde-chasse
Albert Glado : le Tétard, le petit garçon
François Patrice : Georges
Félix Claude : Saint Jean
Lucy Lancy : l'infirmière
Henri Charrett : Ludovic Mercier
Albert Rémy : Clément
Andrée Clément : Isabelle