C’est un crime sauvage, porté par la rage, qui se juge. Lise, une jeune adolescente d’un quartier résidentiel plutôt aisé, vit avec un bracelet depuis deux ans dans l’attente de son procès. Notre récit commence à l’ouverture de celui-ci. Elle devra répondre de ses actes devant la Cour et prouver son innocence pendant que l’avocate générale s’attachera à prouver le contraire. Est-ce une gamine silencieuse supportant un fardeau trop lourd ? Une coupable qui se tait préférant le silence pour semer le doute ? C’est une vie secrète qui s’étale aux yeux de tous, y compris des parents. Peu à peu, la jeune Lise qu’ils connaissaient apparaît sous un jour différent. C’est la vie d’une adolescente échappant au regard et à la compréhension des adultes. Les témoins passent à la barre, long fleuve de regards porté sur une histoire étalée aux yeux des jurés, de la Cour, des parents et de la mère de la victime. C’est une vie suspendue au jugement d’hommes et de femmes qui devront prononcer une sentence du fond de leur coeur, sur des preuves qui parleront pour la paix de l’âme d’une morte.
Stéphane Demoustier s’éloigne du scénario original d’Acusada, film argentin sorti l’année dernière. Ce n’est pas un jeu qui se joue à pile ou face au sein d’un décor de néant. Ce dernier est une salle moderne aux boiseries sans patine qui possède son importance comme personnage secondaire. Il renforce le mutisme de cette jeune fille jetée dans l’arène des adultes. Elle est jugée pour un crime dont nous ne saurons pas, même à l’issue du verdict, si elle est bien la coupable ou non. La dernière scène se lit dans les deux sens, chacun jouant sa carte pour ou contre. On peut imaginer que quelques éléments, symboliques, uniquement connus du spectateur portent la réponse, parsemés tout au long de l’histoire. Est-ce un jeu de vérité, de mensonge du réalisateur s’amusant de notre envie de connaître la vérité ? Le film s’ouvre sur une plage, celle du bonheur, dernier moment suspendu de liberté. Dernière respiration avant d’entrer dans l’autopsie d’un meurtre au prétoire, empreint d’une réalité scientifique.
La force de cette histoire est d’emprunter au film de procès dans une justesse parfaite pour nous raconter un autre récit. Derrière le crime et cet examen d’une vie, c’est un regard sur l’adolescence, déjà au cœur du premier film de Stéphane Demoustier. En trois films sur l’enfance, Terre battue 2014, Allons enfants 2018 et enfin La fille au bracelet, il confirme sa capacité à regarder un monde qui nous échappe. Pour cela, il choisit le point de vue des parents. Il enferme leur fille dans une cage de verre comme dans les contes. Il la libère dans un « couloir de la mort » pour la version coupable, du passage de l’adolescence à l’âge adulte pour les autres. Il nous renvoie l’image insaisissable, incompréhensible de nos adolescents qui nous échappent. C’est bien ce regard des parents qui peu à peu comprennent que Lise finit par leur échapper. C’est un film générationnel, d’alien aux portes de l’âge adulte. Nous ne comprenons, pas plus que nos parents ne nous comprenaient, ces corps qui se meuvent dans la maison.
Générationnel car il semble qu’une fracture aussi importante que celle de la génération de mai 68 sépare les adolescents d’aujourd’hui de ceux d’hier. Cette époque de l’image rebat les cartes de l’existence et des valeurs, et infuse peu à peu chez les parents magnifiquement joués par Roschdy Zem et Chiara Mastroianni, dans un jeu des visages et des regards porteurs de non-dits. On voudrait juger une génération et ses mœurs particulières et non un crime, comme le dit l’avocate de la défense aux allures de Simone Signoret. Cette voie rocailleuse sortie du fond des âges est remarquablement portée par Annie Mercier. Face à elle, l’avocate générale étonnante, Anaïs Demoustier, sœur du réalisateur, toujours sur la ligne d’attaque de la culpabilité.
Le réalisateur choisit un avocat, Pascal Pierre Garbarini, qui récrira la plaidoirie finale de la défense en bonus. Il apporte ce côté technique, sans âme, d’un président de Cour, garant de l’équilibre de la balance de la justice. La caméra serre les visages au plus près, emprisonne la silencieuse Lise dans une tour de verre. Elle compense cet immobilisme par les rares mouvements extérieurs, respirations avant la plongée en apnée dans l’enceinte du tribunal. Après Une intime conviction, c’est une excellente incursion dans le film de procès, plus fréquent aux Etats-Unis que chez nous, dont Douze hommes en colère reste la référence.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : La Fille au bracelet
Réalisation : Stéphane Demoustier
Scénario : Stéphane Demoustier, "librement adapté de Acusada", scénario de Ulises Porra et Gonzalo Tobal
Décors : Catherine Cosme
Costumes : Anne-Sophie Gledhill
Photographie : Sylvain Verdet
Montage : Damien Maestraggi
Musique : Carla Pallone
Producteur : Jean Des Forêts
Coproducteur : Cassandre Warnauts et Jean-Yves Roubin
Producteur exécutif : Amélie Jacquis
Société de production : Petit Film
Société de coproduction : France 3 Cinéma et Frakas Productions
Sociétés de distribution : Charades et Le Pacte
Pays d'origine : Drapeau de la France France
Langue originale : français
Format : couleur
Genre : Comédie dramatique
Durée : 96 minutes
Dates de sortie : 20 août 2019 (Angoulême) 12 février 2020
Distribution
Melissa Guers : Lise
Roschdy Zem : Bruno
Chiara Mastroianni : Céline
Annie Mercier : l'avocate de Lise
Anaïs Demoustier : l'avocate générale
Carlo Ferrante : l'avocat des parties civiles
Pascal-Pierre Garbarini : le président du tribunal
Paul Aïssaoui-Cuvelier : Jules
Mikaël Halimi : Nathan
Anne Paulicevich : la mère de Flora
Jean-Louis Dupont : le grand-père de Flora