Pierre-Paul Daoust, chauffeur livreur après des études en philosophie, se retrouve par hasard au cœur d’un braquage. Dans le carnage qui s’ensuit, il ne manque pas de récupérer deux gros sacs pleins de billets. Il est donc en possession d’une forte somme et la police le soupçonne de s’être servi. Le seul survivant de la fusillade se retrouve à l’hôpital, interrogé par ses petits camarades. La petite boutique insignifiante s’avère être la plaque tournante du blanchiment de l’argent de trafics peu scrupuleux. Pierre pense que l’intelligence est un handicap dans notre société et que l’argent ne fait pas le bonheur. Il passe une bonne partie de son temps libre à s’occuper de SDF à la soupe populaire. Ces derniers rêvent juste d’un toit, un canapé et une télé pour voir le sport. Que faire de cette manne ? La question s’est posée à d’autres bien avant lui. En général, ils finissent de façon peu recommandable, rattrapés par le fric qui n’est pas chic. C’est justement son handicap qui l’aidera à trouver une solution avec une équipe de compagnons de fortune hétéroclite, un ancien motard tout juste sorti de prison, une call girl qui a volé son cœur et un braqueur, véritable bras cassé. Vous pensez déjà connaître la fin de l’histoire, détrompez-vous ! Elle n’est pas celle que l’on croit.
« Les vrais gens intelligents ne passent pas à la télé, dit-il, et ne votent pas Trump. »
Après Le Déclin de l’Empire américain (1986), le sexe dans tous ses états, Les Invasions barbares (2003) la mort ne nous va pas si bien, La chute de l’Empire américain boucle une trilogie. Nous pourrions ajouter à la filmographie L’Âge des ténèbres, le rêve d’une autre vie. Denys Arcand achève d’examiner notre société sous le regard de l’argent après le sexe et la mort. Son cinéma est une longue plongée dans notre humanité et son rapport au monde. L’œuvre ne se résume pas qu’à sa première lecture, il faut gratter pour découvrir le fond profond. Dans La Chute de l’Empire américain, la première séquence nous en dit long sur la suite. Plus que la séparation d’un couple, c’est une réflexion sur l’intelligence dans un monde qui ne réfléchit plus. Alors qu’elle apparaît comme un handicap, c’est bien elle qui permettra à notre héros de louvoyer dans un monde de requins. Entre les mafieux, les avocats d’affaires véreux, les putains de luxe, tout ce petit monde s’avère bien différent de la première impression qu’il suscite. C’est grâce à la première prostituée, Aspasie, les démunis et les marginaux que notre petit livreur trouve le sens de sa vie.
Dans ce monde du Veau d’or, l’humain ne fait plus partie de l’équation. C’est pourtant leur capacité à ne pas se trahir, se soutenir, remettre l’humain au centre du tout qui les aidera. À ce petit jeu, Denys Arcand s’amuse des images et codes du genre pour notre plus grand bonheur. C’est l’occasion d’aborder de nouveau les failles du système et particulièrement la question des minorités ethniques, inuites et amérindiennes, jetées à la rue. Le film s’achève sur le portrait de ces sans-abri oubliés. C’est l’occasion pour le réalisateur de retrouver sa bande d’acteurs et deux petits nouveaux, Alexandre Landry et Maripier Morin, excellents. Nous faisions remarquer, non sans humour, à Denys Arcand qu’avec Aspasie et un philosophe, c’était une tragédie grecque ! Nous n’en sommes peut-être pas si loin dans ce drame qui s’achève par le bonheur retrouvé. C’est la capacité à se métamorphoser qui se retrouve en partie au centre du récit.
Un ex-taulard qui a pris des cours de droit sur l’évasion fiscale, un truand en col blanc, une call-girl, un petit voyou et notre héros, un philosophe. Tout ce petit monde se transforme avec cette manne financière. Il nous rappelle que l’argent n’est pas le but ultime, mais bien ce qui permet à l’humain de s’élever. C’est bien plus qu’une critique de l’évasion fiscale, mais celle de tout un système qui semble s’emballer. Denys Arcand éveille nos consciences à regarder le monde d’une autre manière et peut-être à revenir à la question essentielle. C’est peut-être celle posée par le premier singe debout qui regardait les étoiles.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : La Chute de l'empire américain
Titre provisoire : Le Triomphe de l'argent
Titre anglophone : The Fall of the American Empire
Réalisation : Denys Arcand
Scénario : Denys Arcand
Photographie : Van Royko
Musique originale : Mathieu Lussier
Montage : Arthur Tarnowski
Direction artistique : Patrice Bengle
Pays d'origine : Canada
Producteurs : Denise Robert
Langue : français
Durée : 129 minutes
Dates de sortie : 20 février 2019
Distribution
Alexandre Landry : Pierre-Paul Daoust
Maripier Morin : Aspasie
Pierre Curzi : Maître Taschereau
Rémy Girard : Sylvain « The Brain » Bigras
Maxim Roy : Agente Carla McDuff
Louis Morissette : Sergeant de police
Florence Longpré : Danielle
Vincent Leclerc : Ami itinérant de Pierre-Paul
Yan England : Jimmy
Patrick Emmanuel Abellard: Jacmel Rosalbert