Gareth Jones quitte ses fonctions de conseiller aux affaires étrangères auprès du Premier ministre, David Lloyd George. Il reprend sa plume de journaliste et après une interview d’Hitler, il espère décrocher celle de Staline sur le miracle soviétique. Il débarque à Moscou, convaincu de sa chance, mais celle-ci a tourné, son contact et ami est assassiné. Il lui reste la jeune Ada Brooks, une Anglaise au service de William Duranty, ancien prix Pulitzer. Les journalistes sont confinés dans la capitale et plutôt enclins à se saouler dans des soirées dionysiennes organisées par Duranty. Il décide, sur les conseils de l’Ombre, de se rendre en Ukraine. C’est mal connaître notre homme pour qui ce voyage est un retour à l’enfance où sa mère était préceptrice. Il utilise son ancien statut de conseiller de Lloyd George. Dans ce voyage organisé, on ne lui montrera que ce que l’on désire, une image idyllique et parfaite de l’utopie soviétique. Il échappe à son guide et pénètre au cœur des sept cercles de l’enfer. La réalité est tout autre et le rêve brisé donnera plus tard l’idée à George Orwell du roman La ferme des animaux.
Agnieszka Holland nous entraine dans une vaste fresque classique, mais violente dans sa seconde partie, à la découverte d’un rêve éclaté. Elle s’inspire de la vie du personnage de Gareth Jones qui découvre un pays meurtri, au bord du gouffre. Dans son expansion technologique démesurée, Staline sacrifie l’Ukraine, le grenier de la Russie, à ses ambitions. C’est l’Holodomor, l’extermination du peuple ukrainien par la faim. Nous retrouvons la période qu’affectionne Agnieszka Holland, ces années noires déjà dénoncées dans Europa Europa. Une fois de plus, c’est un aspect méconnu, occulté de l’histoire, qu’elle nous révèle à travers l’obstination de Gareth John. C’est le début de la manipulation orchestrée par un Etat qui vend le rêve d’un monde meilleur.
C’est, après la Lettonie, dénoncée dans Crosswind — la croisée des vents. Agnieszka Holland nous révèle le terrible Holodomor. Jones, comme le dit la réalisatrice, passe par tous les cercles de l’enfer. Le jeune homme plein d’espoir se heurte à la réalité sombre d’un monde aux portes de l’apocalypse. Il sort de la forêt primaire pour découvrir, non pas les champs de blé blonds sous le soleil doré, mais la terre aride, pays de la mort. Ici, on courbe l’échine, on prie Dieu et on mange les morts, le diable en rit dans les tavernes sombres de l’oubli. Ses illusions volent en éclats, c’est le temps de la vérité muselée. C’est la meilleure partie du film, dans une couleur passée, proche du noir, corps décharnés, enfants aux regards vides, seuls les loups sont gras. Seule la flamme vive des foyers opulents de Moscou éclate sur l’écran. Arrêté, reconduit à la capitale, Gareth Jones se voit devant un compromis.
Il a le choix entre sauver des millions de vie en condamnant six innocents ou taire la vérité pour les sauver. Je vous laisse deviner sa réponse. Plus tard, le NKVD le rattrapera en Mongolie pour l’assassiner. C’est toute la question du vrai journalisme que pose la réalisatrice à travers le film. C’est le travail d’enquête et d’introspection, de quête de vérité que certains oublient aujourd’hui pour les sirènes de l’envie. William Duranty choisira la voie du mensonge, oubliant son Pulitzer, qu’une fois la vérité dévoilée on ne lui enlèvera pas. Le monde allait entrer dans une nuit profonde dont il ne se remettrait pas. Il résonne encore. Aujourd’hui, à l’heure des « fake news », le film prend une autre dimension.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : Mr Jones
Titre français : L'Ombre de Staline
Réalisation : Agnieszka Holland
Scénario : Andrea Chalupa
Direction artistique : Fiona Gavin
Costumes : Galina Otenko et Ola Staszko
Photographie : Tomasz Naumiuk
Montage : Michal Czarnecki
Musique : Antoni Lazarkiewicz
Production : Andrea Chalupa, Angus Lamont, Klaudia Smieja, Egor Olesov et Stanislaw Dziedzic
Sociétés de production : Boy Jones Films (Royaume-Uni), Film Produkcja (Pologne) et Kinorob (Ukraine)
Société de distribution : Condor Distribution (France)
Pays d'origine : Pologne - Royaume-Uni - Ukraine
Format : Couleurs - 35 mm
Genre : biographie, drame, thriller
Durée : 141 minutes
Dates de sortie :
Allemagne : 14 février 2020 (Ciné O'Clock, Festival du film britannique et irlandais de Villeurbanne) ; 22 juin 2020 (sortie nationale)
Distribution
James Norton (VF : Marc Arnaud) : Gareth Jones2
Vanessa Kirby (VF : Marie Tirmont) : Ada Brooks
Peter Sarsgaard : Walter Duranty
Joseph Mawle : George Orwell
Richard Elfyn : officier de police
Beata Pozniak : Rhea Clyman
Celyn Jones : Matthew
Julian Lewis Jones : Major Jones
Patricia Volny : Bonnie
Krzysztof Pieczyński : Maxime Litvinov
Billy Holland : livreur de journaux
Sabrina John : le gallois Town Person
Christopher Bloswick : journaliste américain
Kenneth Cranham : David Lloyd George
Michalina Olszanska : Yulia