Pourquoi les hommes ramènent-ils en général la mort dans leur sillon et les femmes la joie et la vie ?
Au loin l'horizon se couvre du chant et de la couleur des flammes des canons, nous sommes à l’été 1918. Angèle vient de perdre au cœur de cette drôle de guerre son grand amour, le père de sa fille. Meurtrie, elle déniche un poste d’infirmière auprès de Charles, un éleveur de chevaux revenu avec une jambe en moins du front. Ils ignorent que la fin de l’horreur est proche. Peu à peu, ils trouvent une complicité que leur douleur de l’âme et du corps réunit. Angèle, femme libre devient plus copain que copine, montant à cheval et jouant au billard comme un homme. Charles lui propose le mariage. Elle lui répond par l'amitié. Fidèle à ce premier amour tombé au front, elle aurait l'impression d'être infidèle.
Elle cède face aux difficultés financières et à l’avenir serein qu’il offre à sa fille. Elle pose ses exigences comme une liste de commissions chez l'épicier. Si la réunion des esprits semble évidente, celle des corps l’est moins. Le sexe, c’est le mardi et monsieur évitera de mettre madame enceinte. Dans l'ombre se dissimule un fantôme trop présent, il empêche Angèle de se livrer complément corps et âme. Il faut du temps pour que la brume s'évanouisse et que les vivants apparaissent dans le chemin où les arbres en fleurs tendent leurs bras. Le sexe devient forcément une problématique, une tempête qui grandit. Est-ce qu’elle ne fera que passer ou emportera-t-elle tout sur son passage ? Qui est le plus handicapé des deux?
Le corps et le cœur s'interpellent sur leur pouvoir réciproque, composant une symphonie de la farce humaine. Le film pose clairement la question « peut-on aimer sans que le sexe ne soit de la partie ? » Une fois de plus, ce sont les liens au sein de la famille qu’interroge le réalisateur. Après ceux du père et fils dans Tu seras mon fils, il se penche sur le mari, la femme et le sexe dans tous ses états. Peut-on échapper au désir des corps, construire une famille sans qu’ils ne s’échauffent et ne réclament leur dû ? Il plante le décor d’un domaine perdu, aux limites du front avec au loin ce tonnerre qui finit par l’atteindre.
Meurtris par la guerre, Angèle et Charles se rapprochent dans une entente parfaite, partageant les mêmes joies et petits bonheurs. C’est une femme libre, féministe avant l’heure, Gilles Legrand ne la transforme pas en caricature de suffragette. Il questionne aussi, à travers ses personnages, le désir qui finit forcément par s’immiscer entre deux adultes. L’amour ne peut pas être que platonique, les corps réclament leur soif de connaissance de l’autre, le désire de se fondre dans l’autre. Est-ce inévitable ? Peut-on vivre à deux et s’aimer sans cela ? Il place, comme un écho, une métaphore à cette histoire, un couple de chevaux. Le sexe devient celui de la procréation, peut-il en être de même avec les humains ? Une fois son affaire faite, l’étalon retourne courir dans le pré.
L’espace naturel, comme dans son premier film, devient un complément à son histoire avec les tons d’automne annonçant la fin d’un monde et de la guerre. Dans la forêt libre court un cerf, autre symbolique qui aurait mérité un traitement plus profond. Olivier Gourmet prouve une fois de plus l’étendue de son talent. Dommage que dans ce jeu des sens la petite Georgia Scalliet reste un peu trop théâtrale et sans relief. Dans cette ambiance de château perdu, tout se joue sur l’affrontement des acteurs. Toutefois, les amoureux de ces romances impossibles y trouveront leur compte.
Patrick Van Langhenhoven
Titre : L'Odeur de la mandarine
Réalisation : Gilles Legrand
Scénario : Gilles Legrand et Guillaume Laurant
Photographie : Yves Angelo
Montage : Andrea Sedláčková
Décors : Jean Rabasse
Costumes : Catherine Leterrier
Musique : Armand Amar
Producteur : Frédéric Brillion, Victor Hadida et Samuel Hadida
Société de production : Épithète Films, Davis Films et France 3 Cinéma
Distributeur : Metropolitan Filmexport
Pays d'origine : Drapeau de la France France
Genre : Drame
Durée : 110 minutes
Date de sortie : 30 septembre 2015
Distribution
Olivier Gourmet : Charles
Georgia Scalliet : Agnès
Dimitri Storoge : Léonard
Hélène Vincent : Émilie
Fred Ulysse : Firmin
Marine Vallée : Louise
Romain Bouteille : le vieux notaire
Michel Robin : le curé
Alix Bénézech : la prostituée
Urbain Cancelier : le sergent