Toby, devenu réalisateur de pub oublie le cœur de ses rêves. Il laisse derrière lui l’idéalisme de sa jeunesse. En plein tournage d’un Don Quichotte, premier long métrage, nouvelle pub, il se remet en question. Il retrouve le village et les sensations de son film de fin d’études, premiers moments de cinéaste vierge. En quête d’un interprète de Don Quichotte, il remonte la piste du cordonnier que le temps transforme en héros de Cervantès. La jeune fille de l’auberge, Dulcinée du Chevalier à la triste figure a disparu dans les méandres du temps. Le vieil homme devenu l’attraction du coin l’entraine dans sa folie, se prenant pour Don Quixote.
Le voilà, dans son sillage, transformé en Sancho Pança, lancé sur les routes d’Espagne en quête de l’inaccessible étoile. Il affronte les moulins à vent, les brigands, les paysans, l’aubergiste, les marchands, les gentilshommes et bien d’autres dans l’esprit du roman revisité. Ils mènent de nombreuses quêtes comme le héros de papier, Alonso Quichano. La réalité et la fiction se mélangent pour l’emporter bien plus loin qu’il n’espérait, au cœur de son âme, en quête de son humanité perdue. Il achève sa course folle dans une soirée excentrique d’un magnat russe qui financerait son film. C’est le dernier labyrinthe des manipulations, mélangeant la farce et la réalité pour le mener à dévoiler son âme. Il ignore encore que le jeu risque de le conduire à l’autre versant, la folie.
Terry Gilliam avec sa version de Don Quichotte, renoue avec le mythe, principalement celtique, le Graal, qui l’accompagne depuis ses débuts. C’est à la fois un voyage au cœur d’un film impossible à monter, comme le projet du réalisateur. Toby est sans aucun doute le double de celui-ci, confronté à la difficulté de tourner et de réaliser son rêve. Combien de films avortés, oubliés, de commande, composent sa filmographie ! Il reste de nombreux chefs d’œuvre et films cultes depuis La première folie des Monty Python en 1971. L’homme qui tua Don Quichotte ne nous dira rien de ce qu’il abandonne derrière lui, des concessions ou changements qu’il a dû accepter pour que son projet voie enfin le jour. Le film est à multiples facettes, riche de nombreux regards mélangeant autant de messages. Nous l’avons vu, film sur le cinéma et particulièrement sa magie. Il ramène la frontière entre rêve et réalité à ce qu’en disent nos sens, troublés par ce qui se déroule sur l’écran. Comme pour Don Quichotte, les moulins à vent deviennent des géants.
Nous comprenons mieux le choix du roman de Cervantès, à la fois roman d’une chevalerie perdue, imaginaire et critique de la société espagnole de l’époque. C’est sur la pellicule que Terry Gilliam inscrit son œuvre depuis toujours, c’est elle qui devient le centre de son univers. À travers elle, il quête le sens de l’humanité et de son âme, comme Parry dans Fisher King : le roi pêcheur. Les deux films se ressemblent étrangement, à relier à un autre, L’Imaginarium du Docteur Parnassus. Il conte le cœur du mythe et la quête de l’inaccessible étoile, une coupe en terre cuite ou, comme le disent certains, notre âme. Pour Don Quichotte, elle représente l’amour avec un grand A. Il est la mélodie qui revient comme un refrain derrière le matérialisme, les ingrats, il clame son chant. Critique de la société et particulièrement de l’argent, il se rapproche de Brazil et du refus de ce monde d’un autre auteur, Orwell avec son 1984. Toutes les épreuves que traverse Don Quixote s’adressent autant au chevalier à la triste mine qu’à son valet Toby. Il est le Merlin malicieux, le guide emmenant le disciple sur des voies impénétrables pour ouvrir son âme. Don Quichotte est peut-être un magicien qui mélange notre réalité à celle du rêve où se cache notre vrai visage. Dans sa mise en scène magique et baroque, il suit le sens du roman et sa première partie, libérée des normes, mélange le lyrique, l’épique, le tragique, le comique, comme dans le roman.
Nous retrouvons l’ouverture sur le rêve et la scène des moulins qui revient comme un leitmotiv, une virgule. Apparaissent le château magique dont la dernière séquence est un écho, les muletiers, la fameuse bataille des vins rouges. Don Quichotte subjugue l’assemblée par ses discours, la grotte de Montesinos, etc. Les retrouvailles de Toby et Angelica appartiennent plus à une vision du roman du Graal, au cœur de la clairière, près du lac endormi. Nous pensons à Lancelot et Guenièvre. La fin rejoint l’œuvre de Cervantès quand la réalité rattrape la fiction, quand la folie révèle le sage et que l’heure de mourir touche l’horizon. Ils trouvent le sens de leur quête et peuvent reprendre le chemin du réel. Derrière ce maelström de page ouverte, de pistes, de films dans le film, d’histoires dans l’histoire, à la fin il ne reste que celui qui hante toute l’œuvre de Terry Gilliam. C’est à vous de le découvrir. Une fois de plus, c’est un magnifique voyage qu’il nous offre.
Patrick Van Langhenhoven
Distribution
Jonathan Pryce : Don Quixote
Adam Driver : Sancho Panza
Olga Kurylenko : Jacqui
Joana Ribeiro : Angelica
Stellan Skarsgård : The Boss
Óscar Jaenada
Jordi Mollà
Sergi López
Rossy de Palma
Jason Watkins
Paloma Bloyd
Bruno Sevilla
Patrik Karlson
Joe Manjón
Viveka Rytzner
Mario Tardón
Lidia Franco
Scénario
Scénariste : Terry Gilliam , Tony Grisoni
D'après l'oeuvre de Miguel de Cervantes
Compositeur : Roque Baños
Producteur : Gerardo Herrero, Mariela Besuievsky, Amy Gilliam, Grégoire Melin
Equipe technique
Directeur de la photographie : Nicola Pecorini
Chef décorateur : Benjamín Fernández
Directrice du casting : Irene Lamb, Camilla-Valentine Isola
Chef costumier : Lena Mossum
Sociétés Production : Tornasol Films S.A.
Production : Entre Chien et Loup, Kinology, Ukbar Filmes, Carisco Producciones
Exportation/Distribution internationale : Kinology
production déléguée : Television Espanola (TVE), Movistar +, Eurimages (Fonds du Conseil de l'Europe)
Distributeur France (Sortie en salle) : Océan Films