Muriel est une grand-mère comblée. Alex, son petit-fils, s’arrête quelques jours aux haras avant de partir au Canada. C’est un amour profond qui les lie depuis la mort de sa fille. Alex est le dernier lien de la famille. Le comportement d’Alex semble de plus en plus bizarre. Elle découvre sa conversion à l’Islam sans que cela ne pose de problème. Derrière celle-ci se cache un engagement plus radical qu’elle finit par découvrir. Elle se retrouve démunie devant cette situation peu orthodoxe. Elle s’interroge sur la meilleure façon de ramener cet enfant qui s’égare. Bientôt, devant un dialogue impossible et la rage d’Alex, elle ne possède plus qu’une solution, l’enfermer pour lui éviter le pire. N’a-t-elle, par ce geste d’amour ultime, fermé la porte à toute réconciliation possible ?
L’adieu à la nuit nous rappelle, Les Cowboys de Thomas Bidegain, La désintégration de Philippe Faucon dont il pourrait être un prolongement. Il commence, après l’embrigadement, par le départ pour la lutte armée dans les sables impies. Ces trois films s’attardent avant tout sur l’humain et son incapacité à comprendre l’enfer qu’il ouvre. Plus qu’un film politique, c’est une belle histoire d’amour entre une grand-mère démunie et son petit-fils. C’est volontairement qu’André Téchiné choisit un conflit de générations. Muriel est une femme au passé marqué par l’exil de l’Algérie, la mort de sa fille et sans doute d’autres douleurs qu’elle dissimule. Une phrase, un geste, nous en disent plus sur cette femme forte qui passe toutes les tempêtes de la vie. Elle se retrouve sans arme face à la découverte de l’engagement obsessionnel de son petit-fils. L’amour qu’il porte à Lila n’explique pas tout. Une fois de plus, c’est le cœur de cette jeunesse pris dans la tourmente qui intéresse André Téchiné. Il retrouve son actrice fétiche pour la huitième fois, avec toujours cette même complicité.
Elle porte cet Adieu à la nuit avec force et brio, admirablement soutenu par le jeune Kacey Mottet Klein découvert par André Téchiné dans Quand on a 17 ans. Le sujet est difficile et creuse son sillon sans jamais juger ses personnages, comme chez Renoir. Il en ressort des pistes de réflexion différentes et complémentaires aux autres films sur le même sujet. Les Cowboys abordait l’amour d’un père pour une fille. La désintégration décortiquait l’embrigadement de ces jeunes enfants perdus finissant par le sacrifice. L’adieu à la nuit s’attaque à l’incompréhension entre deux êtres qui s’aiment mais qui finissent par se perdre de vue. Nous ne saurons rien ou peu de choses de l’embrigadement d’Alex, mais beaucoup plus sur cette volonté de rejoindre un combat où la mort est la seule issue. André Téchiné soulève ce rapport au sacrifice, à la vie après la mort supposément bien meilleure qu’ici. C’est un chemin du sacrifice, nihiliste. Même le repenti ne possède aucune solution, sauf celle d’expliquer l’enfer et le mensonge qui l’attendent. Nous pensons au même engagement, plus philosophique et politique, des années trente dans la Quinta Brigada contre Franco. La question est bien plus complexe en ce qui concerne ces jeunes partis en Syrie et ailleurs.
Pour construire le film, André Téchiné se base sur de nombreux témoignages et les travaux de David Thomson (Les Français djihadistes, Les Arènes). Il choisit la voie de la fiction. Nous comprenons que ce qui ressort de cette lutte où même l’amour semble battu, est un long chemin d’incompréhension plus proche de la secte que d’une volonté politique ou philosophique. C’est une question que notre époque ne peut plus éviter. Elle devra bien trouver le chemin pour s’écouter et se comprendre avant que ne vienne la nuit. On retrouve les thématiques chères au réalisateur, la jeunesse, la famille, les saisons et les paysages ensoleillés. La notion de sacrifice s’incarne de multiples façons, revenant comme un chœur antique, comme le sanglier détruisant les vergers de cerisiers. Derrière ce film social se dévoilent le mythe et la symbolique, les chevaux, la fleur de cerisier qui représente une vie courte et renouvelée. Il revient à chacun de trouver la réponse.
Patrick Van Langhenhoven
Titre français : L'Adieu à la nuit
Réalisation : André Téchiné
Scénario : André Téchiné, Amer Alwan et Léa Mysius
Photographie : Julien Hirsch
Montage : Albertine Lastera
Pays d'origine : France
Genre : drame
Dates de sortie : 24 avril 2019
Distribution
Catherine Deneuve : Muriel
Kacey Mottet-Klein : Alex
Oulaya Amamra : Lila
Stéphane Bak : Bilal
Kamel Labroudi : Souad
Mohamed Djouhri : Youssef