C’est l’histoire d’un procès qui innocente les coupables et plonge la communauté du South Central à Los Angeles, et l’Amérique par ricochet, sur les chemins de la colère. C’est l’histoire d’un homme tabassé par les forces de l’ordre pour la couleur de sa peau. C’est l’histoire d’une jeune fille qui voulait juste acheter un jus d’orange et qui finit au pays des morts. C’est l’histoire d’une femme qui récupère les enfants perdus, comme Peter Pan, prise dans la tourmente qui éclate. La ville est au bord de l’explosion, dehors on hurle sa rage.
Les âmes sans foyer, oubliées dans la tempête, ne savent plus où poser leur désespoir. Le seul blanc du quartier est en ébullition comme les Afro-américains. Ils sont tous prêts à franchir la ligne du désespoir. Dans ce maelström de colère, Millie tente de préserver sa tribu. Ces gamins au cœur fragile, errant dans la rue, trouvent chez elle un foyer. En fond, sur l’asphalte du bonheur décomposé, une histoire d’amour tente de prendre son envol vers les cieux enfumés. Jesse aimait la petite Nicole qui lui préfère un voyou du quartier. Dans ce chant tragique, la colère et la haine rejoignent la vengeance des damnés trop longtemps jetés à terre.
Deux discours s’affrontent au cœur de cet ouragan qui monte, celui de la loi et celui de la vengeance. Dans ce jeu trouble, c’est la mort qui gagne toujours. Après les jeunes filles turques discriminées dans Mustang, la réalisatrice explore une autre injustice, sous le joug du racisme cette fois. La caméra est toujours aussi vive et percutante dans son analyse. Elle prend le récit à bras le corps, de l’intérieur, sans jamais le lâcher. Face à l’injustice, la colère gronde et déborde, elle explose et porte la voix de la révolution. Dans celle-ci se noie le cœur blessé d’un garçon qui croyait en la justice et l’amour d’une fille. Au cœur de la guerre urbaine, la tragédie creuse son nid. Il n’existe aucune parabole pour en rendre compte. La voiture traverse le chaos dans une brume, symbole du pays des morts, où les vivants ne possèdent plus leur place. C’est le premier scénario en chantier, à la sortie de la FEMIS, de la jeune réalisatrice.
Il nait en 2005 alors qu’elle est encore étudiante, face aux émeutes des banlieues françaises. Ce qui l’intéresse, c’est cette détresse émotionnelle arrivée à un niveau extrême. C’est bien le cœur de Kings, à travers deux affaires injustes, celle de Rodney King qui enflammera Los Angeles et l’Amérique tout entière. Suite à celle-ci, des comités de sous surveillance policière se créent les « copwatch » (littéralement « surveillance de flics »). Elle rajoute une autre histoire, celle d’une jeune Afro-Américaine morte pour une bouteille de jus de fruit. Les deux procès se soldent par un acquittement des coupables. Les flics de Rodney King seront de nouveau jugés et deux d’entre eux effectueront une peine de prison. Dans cette atmosphère tendue, elle prend pour fil rouge une famille d’Afro-Américains, composée de Millie, une bonne âme et ses enfants perdus. Elle offre un foyer aux mômes errants, au sens propre comme au figuré. Ils déposent chez elle leur souffrance pour se construire. La ville qui s’enflamme n’est que le fond du décor où se joue la tragédie.
Un Blanc porte secours à cette fratrie discriminée par sa communauté. Elle rajoute une histoire d’amour qui finit mal, comme un écho à ce qui se déroule à l’extérieur. Alors qu’elle nous prenait au corps dans Mustang, Deniz Gamze Ergüven propose un discours plus classique dans Kings. Elle s’égare parfois, comme dans cette séquence de menottes à un réverbère. Elle n’explore pas suffisamment, à notre avis, son histoire d’amour qui pouvait être le cœur de l’histoire. Il nous faudra attendre pour être de nouveau surpris et touchés au cœur. Nous aimons quand même Kings qui confirme la volonté de Deniz Gamze Ergüven de s’emparer de sujets difficiles sur la discrimination. Il reste un film moins percutant mais tout aussi intéressant dans sa forme et aussi pour certaines séquences-chocs et d’autres plus tendres.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus:
Bande annonce
Titre original et français : Kings
Réalisation et scénario : Deniz Gamze Ergüven
Script : Ludivine Doazan
Direction artistique : Céline Diano
Décors : Nancy Niksic
Costumes : Mairi Chisholm
Casting : Heidi Levitt
Direction d’acteur : Suzanne Marrot
Photographie : David Chizallet
Son : Pierre Mertens
Montage : Mathilde Van de Moortel
Musique : Nick Cave et Warren Ellis
Production : Charles Gillibert
Co-production : Geneviève Lemal
Production exécutive : Wei Han, Yee Yoo Chang, Celine Rattray, Trudie Styler, Charlotte Ubben, Olivier Gauriat
Sociétés de production : CG Cinéma, Ad Vitam, France 2 Cinéma, Scope Pictures, Suffragettes
Sociétés de distribution : Ad Vitam (France), Fabula Films (Turquie), Imagine Film Distribution (Belgique), The Orchard (États-Unis)
Budget : 10 millions d'euros
Pays d'origine : France, Belgique
Langue originale : anglais
Format : Couleur
Genre : drame, thriller
Durée : 92 minutes
Dates de sortie : 11 avril 2018
Distribution
Halle Berry : Millie
Daniel Craig : Obie
Lamar Johnson : Jesse
Kaalan Rashad Walker : William MCgee
Rachel Hilson : Nicole Patterson
Issac Ryan Brown : Shawnte
Callan Farris : Ruben
Serenity Reign Brown : Peaches
Reece Cody : Tiger
Aiden Akpan : Jordan
Gary Yavuz Perreau : Carter
Ce’Onna Johnson : Sherridanne
Lorenz Arnell : Damon
Lorrie Odom : Angela
Lewis T. Powell : Quinn
Flor de Maria Chahua : Maria
Quartay Denaya : Latasha Harlins
Janet Song : Soon Ja Du
Richie Stephens : officier Bilson
Rick Ravanello : officier Camello