Le capitaine Joseph Blocker porte encore les marques de la guerre n’épargnant personne dans ses absolues ténèbres. Il existe trop de sang versé de part en part pour que les blessures s’effacent dans le flot de la rivière de l’oubli. Dans le cœur du vieil Indien, la violence des combats laisse place à la terre fragile du renouveau. Il est temps pour que le printemps sème la graine de la réconciliation. Dans celui du capitaine brûle encore la flamme de la haine et de la violence des combats dans sa descente en enfer. L’autre reste toujours un ennemi, le pardon n’a pas sa place dans les jours nouveaux qui prendront racine dans le cœur des mourants. Bientôt il rejoindra les rangs des civils anonymes. Le monde tourne et d’autres horizons s’annoncent. Il ne trouve plus sa place, trop marquée par la violence d’hier.
Il est impossible de reconstruire avec certitude une petite parcelle de bonheur. Tenace, il refuse la mission, sa hiérarchie tient bon et l’oblige à obéir aux ordres. La route est longue jusqu’au Montana où un vieil homme souhaite juste pousser le dernier souffle d’une vie sur la terre qui l’a vu naitre. La marche est tendue, le passé trop lourd et trop noir pour éclaircir l’horizon lorsque la troupe tombe sur une ferme incendiée et son unique survivante, une femme perdue. L’atrocité des Comanches ouvre encore plus la blessure et l’incapacité à prononcer le pardon. Pourtant, dans ce champ où rien ne semblait pousser, une graine trouve sa route. Elle pousse la haine à se confronter à sa propre noirceur pour ouvrir l’azur des cœurs. La route est longue, mais désormais elle tient dans sa main le ciel bleu de demain.
On pense forcément à John Ford aux westerns crépusculaires, à cette confrontation avec l’autre, l’ennemi d’hier. D’autres références viennent à l’esprit comme Impitoyable quand le genre se confronte à la réalité pour donner une nouvelle version du monde moins idéaliste. J’irais même jusqu’à Un homme nommé cheval, Little Big Man, La prisonnière du désert, quand la route de la réconciliation semble longue. De Crazy Heart à Hostiles en passant par Les brasiers de la colère, Strictly Criminal, l’œuvre de Scott Cooper examine le combat de notre âme entre noirceur, haine, silence, et amour, bien et mal. Du vieux chanteur de country au criminel de Boston, avec un détour par les deux frères des brasiers, c’est bien la lutte de l’enfer et du paradis sur terre qui se joue. Hostiles n’échappe pas à cette thématique principale avec un homme incapable de regarder son ennemi avec la bienveillance du pardon. Le vieil Indien, le chef Yellow Hawk, sait qu’après la tempête revient le temps des moissons. On ne construit rien de bon sur les terres de la haine et de la rancœur. Scott Cooper s’empare des figures incontournables du genre, le capitaine obtus, le vieux chef sage, la jeune femme blessée, les propriétaires sans scrupules, la nature, pour leur donner une dimension universelle, intemporelle. Elle s’apparente dans le silence et l’économie des dialogues à la tragédie antique, celle de la naissance du monde.
L’enterrement des corps devient la seule manière pour la survivante de vaincre la douleur. C’est une pierre, une prière de plus dans le calvaire de la haine. Un ennemi plus implacable, sans âme, chevalier noir, la faucheuse rôde, les Comanches. Le capitaine ne fait pas la différence entre celui-ci et ses prisonniers. Pourtant cet ennemi commun devient le lien qui tisse un pont. Dans l’ombre, le visage de l’autre, l’ennemi prend forme et devient un nom. Tuer, prendre une vie, ne laisse pas indemne. Quand on s’engage dans l’armée, ôter une vie devient le job. À force on s’y habitue mais le Sergent oublie de dire à quel prix. La mort devient le centre de la rédemption, elle appelle à la vie quand on connaît le prix de ce que l’on ôte à l’hôte. Le film prend la route de l’humanité et de la barbarie qu’il emprunte à travers les personnages qui la jalonnent. Les évidences apparaissent plus complexes et ne tiennent pas qu’à un peuple de sauvages face à des civilisés. Elles représentent le fondement de l’humanité. C’est dans son cosmos intérieur que se déroule la bataille du bien et du mal. Le capitaine n’est pas raciste, il hait son ennemi plus qu’une race. On le comprend grâce aux liens qu’il entretient avec le soldat afro-américain.
À ce moment du film, les personnages commencent à prendre d’autres nuances moins tranchées sur le noir et blanc. Il se retrouve confronté à sa face sombre avec le prisonnier à escorter. Ils se connaissent mais ne partagent plus rien. Leurs routes divergent entre devoir et barbarie. Un sergent est envahi par la part de son péché qu’il ne peut oublier. Il sait que seule la mort effacera ses actes. Les éléments deviennent un écho, plus qu’un décor, un symbole à l’histoire qui se joue. C’est la pluie arrosant la terre, la forêt et ses rayons de soleil, la prairie du recommencement au milieu du film. C’est la terre que l’on ne possède pas, contrairement au propriétaire de la fin annonçant le libéralisme d’aujourd’hui. C’est la symbolique du premier arbre. Nous reprocherons juste le regard posé sur les Comanches, figures du diable et du mal extrême. Il reste encore un film plus juste sur ce peuple qui ne fait que se défendre face à un génocide. Christian Bale est une fois de plus parfait de sobriété, de mutisme, campant un homme profondément perturbé intérieurement. Rosamund Pike nous offre un beau portrait de femme, pendant du vieux chef dans sa capacité à embrasser le monde par le biais du pardon. Hostiles nous entraine au cœur de nombreuses pistes pour nous ramener à travers le passé à ce que nous voulons faire du monde d’aujourd’hui. Une fois de plus, le western montre sa capacité à parler du présent bien plus que d’un temps révolu.
Patrick Van Langhenhoven
- Pour plus d’infos sur la nation Comanche, on pourra lire : Ernest Wallace ...E .Adamson Hoebel Les Comanches ....Princes des plaines du Sud chez Nuage Rouge éditions du Rocher
Titre original et français : Hostiles
Réalisation : Scott Cooper
Scénario : Scott Cooper, d'après une histoire de Donald E. Stewart
Direction artistique : Elliott Glick
Décors : Donald Graham Burt
Costumes : Jenny Eagan
Photographie : Masanobu Takayanagi
Montage : Tom Cross
Musique : Max Richter
Production : Scott Cooper, Ken Kao et John Lesher ; Will Weiske (délégué) ; Sean Murphy, Josh Rosenbaum et Jennifer Semler (coproducteurs)
Sociétés de production : Waypoint Entertainment et Le Grisbi Productions
Sociétés de distribution : Metropolitan Filmexport (France), Entertainment Studios (États-Unis)
Budget : 40 millions de dollars
Pays d'origine : États-Unis
Langues originales : anglais et cheyenne
Format : couleur
Genre : western
Durée : 134 minutes
Dates de sortie : 14 mars 2018
Distribution
Christian Bale (VF : Laurent Natrella) : le capitaine Joseph J. Blocker
Rosamund Pike (VF : Laura Blanc) : Rosalie Quaid
Wes Studi : Yellow Hawk
Jesse Plemons (VF : Christophe Lemoine) : lieutenant Rudy Kidder
Adam Beach : Black Hawk
Rory Cochrane (VF : Tanguy Goasdoué) : Thomas Metz
Peter Mullan (VF : José Luccioni) : lieutenant-colonel Ross McCowan
Scott Wilson : Cyrus Lounde
Paul Anderson : caporal Tommy Thomas
Timothée Chalamet (VF : Baptiste Mège) : Philippe DeJardin
Ben Foster (VF : Alexandre Gillet) : sergent Charles Wills
Jonathan Majors (en) : le caporal Henry Woodson
John Benjamin Hickey : capitaine Royce Tolan
Q'orianka Kilcher : Elk Woman
Tanaya Beatty : Living Woman
Bill Camp (VF : Gérard Darier) : Jeremiah Wilks
Scott Shepherd : Wesley Quaid
Ryan Bingham (en) : le sergent Malloy
Robyn Malcolm (VF : Danièle Douet) : Minnie McCowan
Stephen Lang (VF : Philippe Catoire) : colonel Abraham Biggs
Xavier Horsechief : Little Bear