Dans la famille de Justine, on est végétarien et vétérinaire de génération en génération. C’est un peu comme un gène que l’on se transmettrait de femelle en femelle. Elle intègre donc, de façon logique, une école vétérinaire où déjà sa sœur ainée fait ses premiers pas. C’est l’année du bizutage, celle de la ferveur des jeunes arrivants, promis à une belle carrière s’ils savent trouver leur place. Pour l’instant, la folie de la jeunesse n’est pas bien méchante. On s’arrose du sang d’animaux, on marche comme une louve au sein de la meute, on bouscule les chambrées. On fait connaissance les uns avec les autres, anciens et nouveaux. Des affinités se créent, ces liens resteront ancrés, comme un navire dans le port de la vie, et d’autres s’oublieront bien vite.
Justine, première de la classe, semble avoir un peu de mal à trouver sa place dans ce chaos du monde. Elle se lie d’amitié avec Adrien. Tous les deux découvrent les sens qui marqueront leur existence. On lui fait avaler un rein de lapin cru de force ! Elle qui est végétarienne, ne supporte pas dans un premier temps. Du fond de son corps, de son âme, une force sournoise prend forme et révèle sa nature profonde. La chair de l’autre prend un goût délicieux bousculant ses convictions et son végétarisme. Peu à peu elle rejoint le peuple cannibale et découvre une vérité bien plus terrifiante au bout de la route.
Grave est loin d’être un film d’épouvante, même si son fil conducteur révèle des images chocs. C’est bien plus la question que la réalisatrice soulève tout au long du récit qui en fait un drame profond à ne pas mettre entre toutes les mains. Le cannibalisme cache une autre question, celle de notre nature animale. Elle possède déjà le sens du cadre et de la lumière, une quête au service du récit. Symbolisme, lecture à plusieurs niveaux et réalité s’entremêlent pour un film choc. Dès la première séquence, une route et un accident vu de loin posent la solitude de la créature et son animalité. Le film se poursuit avec le bizutage, ses corps marchant à quatre pattes vers la lumière. C’est le rite archaïque préhistorique du passage de la nuit au jour. C’est la sortie de la grotte de Platon où l’homme découvre son humanité et construit la civilisation. Le chien marque ce lien avec les racines du chasseur cueilleur des premiers temps.
Dans ce contexte, le choix d’une école vétérinaire avec ses animaux, chevaux, vaches, cochons, ne semble pas innocent. Surtout le chien, compagnon des premières aurores du singe chasseur cueilleur, devenu sapiens. Tous ces corps que la caméra effleure dévoilent en gros plan, nous questionnent sur le rapport entre humain et animal. Un des personnages aura une question sur le viol à ce sujet. L’intelligence, la conscience du singe est-elle la même que la nôtre ? C’est intéressant quand on sait qu’aujourd’hui de nombreux scientifiques s’interrogent sur celles des animaux. Les dernières découvertes nous ouvrent des perspectives que certains ont du mal à concevoir, évidentes pour d’autres. C’est au plus profond de notre conscience que nous renvoie le film, dans la région primaire de notre cerveau carnassier de reptile. C’est peut-être même derrière, dans la nuit noire du chaos des premiers temps, quand le monde n’était qu’un hurlement du commencement. Le sang marquera le passage du végétarisme à la découverte de la viande, et plus loin du cannibalisme.
Elle mélange sexe et ce dernier dans une séquence où elle perd sa virginité l’amenant à se dévorer. Notre instinct monstrueux, primaire, le singe sanguinaire mangeant ses congénères, n’est pas si loin. Dans les sociétés cannibales, se nourrir de l’autre c’est l’avaler pour ne faire qu’un ou s’emparer de sa force. Le film interroge en profondeur sur cette thématique, non pas dans son histoire, mais dans sa notion morale et culturelle. Une deuxième thématique apparaît, celle d’un amour absolu où l’autre cherche à avaler celui qu’il aime pour ne faire qu’un. Julia Ducournau maitrise sa direction d’acteurs de façon brillante, poussant ceci dans des zones extrêmes. La jeune Garance Marillier est extraordinaire dans un rôle difficile que peu accepteraient. Le film développe le rapport au corps, animal et humain, de façon particulière, souvent inspiré, hors des sentiers habituels. Grave plonge dans les territoires inconnus où gît la part primaire des enfants nus du début de l’humanité.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus:
Titre : Grave
Réalisation : Julia Ducournau
Scénario : Julia Ducournau
Sociétés de productions : Petit Film, Rouge International, Frakas Productions
Producteur : Jean des Forêts
Coproducteurs : Julie Gayet, Nadia Turincev, Jean-Yves Roubin, Cassandre Warnauts
Directeur de la photographie : Ruben Impens
Compositeur : Jim Williams
Distribution : Wild Bunch
Pays : France - Belgique
Genre : Horreur
Durée : 98 minutes
Dates de sortie : (Festival de Cannes 2017) 15 mars 2017 Interdit aux moins de 16 ans
Distribution
Garance Marillier : Justine
Rabah Naït Oufella : Adrien
Ella Rumpf : Alexia
Joana Preiss : la mère
Laurent Lucas : le père
Marion Vernoux : l'infirmière
Bouli Lanners : le routier
Jean-Louis Sbille : le professeur
Rémy Henquet : étudiant
Thomas Mustier : le chef du bureau des étudiants
Récompenses
Festival de Cannes 2016 : Prix Fipresci de la critique internationale pour les sections parallèles, après sa présentation en compétition à la 55e Semaine de la Critique
Festival européen du film fantastique de Strasbourg 2016 :
Octopus d’or du meilleur long-métrage fantastique international
Prix du public du meilleur film fantastique international
Festival du film de Londres 2016 : Sutherland Trophy du meilleur premier film
Festival international du film de Flandre-Gand 2016 : Explore Award
Paris International Fantastic Film Festival 2016 :
Œil d'or du meilleur film de la compétition internationale
Prix Ciné+ Frisson du meilleur film
Festival international du film fantastique de Gérardmer 2017 :
Grand prix du jury
Prix de la critique