A Milwaukee, Wisconsin, Vic gagne sa vie en transportant des personnes handicapées à leurs lieux de rendez-vous avec le minibus de la société qui l’emploie. Il est d’origine russe et s’occupe également de son grand-père qui a une fâcheuse tendance à faire de grosses gaffes dès que Vic s’absente, les effets de l’âge sont souvent redoutables. C’est en revenant d’urgence à l’appartement pour réparer la dernière bourde de son aïeul qu’il se fait réquisitionner en quelque sorte pour emmener le petit groupe de Russes de son immeuble à l’enterrement de la tante Lylia, puisqu’il dispose d’un véhicule. Le voilà contraint de jongler avec les clients qui l’attendent, la bande de papis et mamies en route pour le cimetière et une grosse manifestation dans le quartier noir de la ville qui perturbe la circulation.
Il souffle un petit vent frais cet été sur le ciné indé. Mikhanovsky s’inspire un peu de son vécu (il a été ambulancier) et mise sur la philosophie du quotidien, celle des petites gens qui ne se plaignent pas mais agissent et développent un humour né tout droit de la mouscaille. Le film est une déambulation à secousses dans ce minibus poussif que Vic dirige en slalomant et toujours avec du retard, au risque de se faire licencier. Deux communautés qui ne se fréquentent pas vont bien sûr se croiser, les Russes avec leurs rites (funéraires), leur manie de cacher leurs économies dans les endroits les plus inattendus, leur goût de la tragédie bruyante, et les Noirs, victimes de préjugés raciaux tenaces qui luttent en se serrant les coudes et en redoutant l’attitude de la police. Il flotte une bienveillance tonique dans cette comédie sociale qui met tous ses personnages sur un pied d’égalité. La rage est omniprésente comme un moteur burlesque, jusqu’au final qui, dans un changement de couleur (on frise le noir et blanc) et de ton, nous arrache au côté fable dans lequel nous nous étions laissé envelopper pour nous ramener sur terre. Ici et maintenant, on ne rit pas tous les jours aux Etats-Unis. Ce qui n’empêche pas l’ensemble de présenter un côté battant, tirant vers l’optimisme.
Ce ton très particulier m’a ramenée des années en arrière lors de la projection de Bagdad Café (d’ailleurs ressorti en version restaurée ce printemps), même si les deux films n’ont que peu en commun. Mikhanovsky crée un climat complètement inédit porté par la volonté de montrer son pays sous un autre jour.
Dans une tout autre atmosphère, on pourrait évoquer également Rêves de jeunesse d’Alain Raoust, actuellement à l’affiche, qui là encore cherche à extraire un suc aux arômes épicés pour relever un quotidien qui s’affranchit, dans la lutte et la niaque, de la banalité des jours.
Les utopies ont changé d’allure, mais elles ne sont manifestement pas mortes. Tant mieux.
Françoise Poul
Titre original : Give Me Liberty
Réalisation : Kirill Mikhanovsky
Scénario : Kirill Mikhanovsky et Alice Austen
Photographie : Wyatt Garfield
Montage : Kirill Mikhanovsky
Direction artistique : Moira Tracey
Décors : Bart Mangrum
Costumes : Kate Grube
Sociétés de production : Give Me Liberty, The Space Program, Ursa Minor Independent, en association avec Flux Capacitor Studios
Pays d'origine : États-Unis
Langues originales : anglais et russe
Genre : comédie dramatique
Format : couleurs (et quelques passages en noir et blanc)
Durée : 110 minutes
Dates de sortie : France : 18 mai 2019 (festival de Cannes) ; 24 juillet 2019 (sortie nationale)
Distribution
Lauren 'Lolo' Spencer : Tracy Holmes
Chris Galust : Vic
Maksim Stoyanov : Dima
Darya Ekamasova : Sasha, la sœur de Vic
Zoya Makhlina : la mère de Vic et Sasha
Dorothy Reynolds : la grand-mère de Tracy
Sheryl Sims-Daniels : la mère de Tracy
Steve Wolski : Steve
Steve Wolski : Michelle
Ben Derfel : Nate
Lindsey Willicombe : la soprano