Il est bien loin le temps du jeu des gendarmes et voleurs au cœur de la cité. Pour Manuel et Driss aujourd’hui, chacun choisit sa voie et leurs routes finiront bien par se croiser de nouveau. Manuel bricole. De petit trafic en petit trafic, il tient cette fois la bonne affaire bien juteuse. Cela se traduit par un bon paquet de came à refourguer au repreneur le plus intéressé. Il est fini le temps des caïds à l’ancienne formant un réseau serré et organisé. Un vieil oncle semble au courant de tous les mauvais coups et fait office de parrain dans un paysage plus proche de l’anarchie que de la mafia. On se retrouve en bande sur un coup et après, c’est chacun pour soi. C’est dans ce paysage étrange que Manuel évolue d’un deal à l’autre. Driss, à cause de ses origines maghrébines, rejoint l’équipe des Stups, bien décidé à montrer sa valeur. Il n’hésite pas à provoquer les événements pour réussir, en utilisant ses anciens camarades de jeunesse pour faire son trou. Le jeu du gendarme et du voleur devient une partie d’échecs. Elle met en place au-delà des pions blancs et noirs, du bien et du mal qui s’affrontent, les nuances plus subtiles menant aux frontières des choix de chacun.
Le troisième film de David Oelhoffen reprend la même thématique des liens unissant les hommes au cœur des territoires de l’existence. Hier, c’était un maitre d’école et un prisonnier arabe, inspiré par la nouvelle L’hôte et l’esprit d’Albert Camus. Dans Nos retrouvailles un père et un fils se retrouvent dans le besoin de l’autre pour avancer. Déjà la confrontation des individus aux parcours différents, la confrontation des sentiments et le choix crucial en fin de route occupent l’essentiel du récit. Il trace avec justesse l’univers du banditisme dans une redistribution des rôles aujourd’hui. C’est ce qui nous lie, nous rapproche, qui intéresse David Oelhoffen.
Derrière les manipulations de Driss pour se faire bien voir de sa hiérarchie se cachent d’autres intentions. Ils ignorent qu’il est un ennemi au cœur du territoire, un traitre, renié et reniant les siens. C’est dans ce méandre délicat que le film joue sa partition pour nous entrainer au plus profond de l’âme des personnages. Pour David Oelhoffen, comme pour Loin des hommes, c’est la route et ce que partagent les personnages qui comptent plus que le but. Dans une image de départ manichéenne, il dévoile tous les nuances et questionnements des personnages. Entre les intérêts des uns et des autres, une autre vision se glisse, celle des liens du passé.
Reda Kateb et Matthias Schoenaerts impressionnent dans une variation sensible, creusant au plus profond de leur personnage et de leurs questionnements. La ligne entre le bien et le mal apparaît plus mince que celle de notre imaginaire sur l’opposition flic et voyou. Loin du film de petite frappe, c’est sur l’existentiel qu’il trace sa ligne et se démarque du reste. C’est une thématique que le réalisateur peaufine de mieux en mieux. Le spectateur pourra savourer un bon film de truands de banlieue, mais aussi chercher plus loin ce que cachent nos âmes, noires ou blanches, dans le cœur de la nuance.
Patrick Van Langhenhoven
Titre : Frères ennemis
Réalisation : David Oelhoffen
Scénario : David Oelhoffen et Jeanne Aptekman
Montage : Anne-Sophie Bion
Musique : Superpoze
Photographie : Guillaume Deffontaines
Producteur : Margaux Balsan, Marc Du Pontavice
Coproducteur :
Production : One World Films
Distribution : BAC Films
Pays d’origine : France
Genre : drame
Durée : 111 minutes
Dates de sortie : 1er septembre 2018 (Mostra de Venise) 3 octobre 2018
Distribution
Matthias Schoenaerts : Manuel Marco
Reda Kateb : Driss
Adel Bencherif : Imrane Mogalia
Fianso : Fouad
Sabrina Ouazani : Mounia
Gwendolyn Gourvenec : Manon
Nicolas Giraud : Rémi Rufo