« Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon cœur
D'une langueur
Monotone. »
Quelque part en Allemagne, une tombe. Nous sommes en 1919. La chanson des canons est morte depuis longtemps, résonne dans le petit cimetière le frémissement du vent dans les feuilles. Un bouquet de fleurs posé sur un silence, un souvenir accroche, un nom sur une croix, Frantz. Quelle ombre demande pardon ou se recueille, fantôme perdu qui n’est ni de la famille ni, nous l’apprendrons plus tard, allemand. Adrien, jeune garçon au corps squelettique, oscille entre la mort et la vie. Que vient-il chercher derrière les champs meurtris de son pays, chez l’ennemi, le pardon, la trace d’une amitié interdite, d’un amour ou d’un ami broyé par le mensonge de cette guerre ? Anna, la jeune fiancée meurtrie d’une vie que ne verra jamais le jour, découvre cette ombre un soir chez les parents de Frantz, son amour perdu. Un ami d’hier, d’avant la guerre, une histoire de vérité et de mensonge pousse comme la graine sur les champs de blé éventrés.
Adrien prend peu à peu la place de ce fils qui ne reviendra plus que dans les mémoires. Ils avaient les mêmes goûts, les mêmes ambitions pour la vie et comme le dira le père un soir à la taverne, « C’est nous les fautifs, nous sommes des pères qui boivent à la mort de leurs enfants. » En France ou ailleurs, pour tous les morts de cette guerre, la faute est la même pour tous. Un beau soir, Adrien, après avoir pris un temps la place du fils, redonné de la lumière et de l’espoir dans le cœur des parents, disparaît. Anna recevra quelques lettres, quelques mots de bonheur pour effacer la douleur. Poussée par les parents qui espéraient un autre fils, elle part en quête d’Adrien, espérant ramener l’enfant égaré au foyer. Elle ignore encore que cette route où le printemps tarde à poser sa corolle de fleurs ensoleillées sur le champ des morts la changera profondément et pour toujours.
« Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure »
Frantz est bien plus qu’un film sur la vérité et le mensonge, thématique revenant souvent chez François Ozon. C’est un hymne à la vie quand la guerre a jeté l’ombre du désespoir et de la douleur sur les cœurs. C’est d’abord une pièce du fils d’Edmond Rostand, Maurice, L’homme que j’ai tué, un plaidoyer pacifiste écrit après-guerre en pensant « plus jamais cela »… Ernst Lubitsch en 1932 réalise d’après celle-ci son unique drame tourné à Hollywood (Broken Lullaby) avec Lionel Barrymore et Phillips Holmes. François Ozon reprend l’idée du récit en choisissant de développer le personnage d’Anna. C’est du point de vue de la jeune fiancée que nous découvrons et explorons le récit. Dans la première partie se joue le retour à la vie pour chacun des personnages, à travers la route du mensonge. Ce dernier parcourt le film et pour une fois, ne conduit pas au drame mais à la renaissance et au retour de la vie.
L’action d’ailleurs, sans vraiment le dire, se situe aux portes du printemps. L’arrivée d’Adrien apporte la joie et le bonheur, ce jeune homme fantôme n’est pas le messager de mauvais augure, mais celui qui réveille les temps anciens du bonheur. Est-ce un mensonge ou une vérité, qu’est-ce qui liait Frantz et Adrien ? Une amitié d’avant-guerre réunie sous les mêmes envies de dévorer la vie ? Mensonge, ce tableau de Manet d’un jeune homme au visage pâle que finira par découvrir Anna ? Est-ce une allégorie à cette guerre suicidaire qui broyait l'innocence sous le hurlement des canons et l'odeur de la boue ? Quand le printemps reviendra, il ne restera que des ossements où gémir. Elle imaginait un jeune homme fragile comme l’ami revenu, mais c’est autre chose qui éclate dans son cœur, vérité blessante. Anna, à la fin dira à un visiteur, au musée : « Vous aimez aussi ce tableau ? Il me donne envie de vivre ». Dans cette phrase finale, tout est dit, d’hier et des espoirs d’aujourd’hui. Tout est métaphore dans Frantz, le noir et blanc à la fois le passé et la fin des champs éclatés sous la fureur des canons.
Le bonheur, imaginaire ou vécu, se traduit par la couleur vive et rayonnante. La scène centrale aux couleurs délavées, fantomatiques, marque le passage de la quête du pardon à celle de la rédemption. Adrien vient du pays des morts pour retrouver la vie. Anna parcourt les enfers, dort dans un vieux clandé pour trouver, au bout du tunnel, la lumière de la vie. Elle s’émancipera des fantômes, Pythie porteuse du printemps qui chante dans les arbres et les ruisseaux, elle annonce le renouveau. Dans ces territoires où la graine du mensonge plante l’arbre de vie, elle peut enfin, le bonheur planté dans les cœurs, ouvrir les portes de sa propre existence.
Elle n’a plus à être la fiancée perdue, éplorée, la fille de vieillards aux portes de la tombe, elle peut devenir son propre chant. La musique est peu présente et souvent le spectateur entend le chant d’un ruisseau, des feuilles brassées dans les ramures. Métaphore de la vie perdue qui reprend ses droits et effacera les gueules cassées qu’elle croise, qu’un baiser apaise. Nous faisons référence à cette scène où un jeune homme défiguré embrasse sa bien-aimée. Mensonge ou vérité ? N'ayez pas peur de rendre les autres heureux. Le mensonge vaut bien la vérité quand il cicatrise les cœurs et ouvre la cage du chant de l’éternel amour.
Patrick Van langhenhoven
« Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte. »
Verlaine - Poèmes saturniens
Pour Adrien, leur procurer ce plaisir est une manière aussi de
calmer pour un instant sa propre culpabilité.
Titre original : Frantz
Réalisation : François Ozon
Scénario : François Ozon
Collaboration au scénario : Philippe Piazzo 4
Direction artistique : Michel Barthélémy
Décors : Catherine Jarrier-Prieur
Costumes : Pascaline Chavanne
Photographie : Pascal Marti
Son : Martin Boissau
Montage : Laure Gardette
Musique : Philippe Rombi
Production : Éric Altmayer et Nicolas Altmayer
Sociétés de production : Mandarin Production ; X-Filme Creative Pool (coproduction)
Sociétés de distribution : Mars Films (France), X-Verleih AG (Allemagne)
Pays d'origine : France, Allemagne
Langues originales : français et allemand
Format : noir et blanc (Quelques scènes en couleurs)
Genre : drame
Durée : 113 minutes
Dates de sortie : 7 septembre 2016
Distribution
Paula Beer : Anna
Pierre Niney : Adrien
Ernst Stötzner : Doktor Hoffmeister, Hans, père de Frantz
Marie Gruber : Magda, l'épouse de de Hans, mère de Frantz
Cyrielle Clair : la mère d'Adrien
Johann von Bülow : Kreutz, le prétendant nationaliste d'Anna
Alice de Lencquesaing : Fanny, la promise d'Adrien
Anton von Lucke : Frantz