Petrunya est une jeune fille bien dans sa peau, ne s’en laissant pas compter par sa rondeur et le regard des autres. Elle possède un tempérament de feu dans une Macédoine encore sous le joug du machisme. Avec son diplôme d’historienne, elle peine à trouver du travail dans un pays qui en manque. Une fois de plus rejetée, disgraciée, elle se prend d’un coup de folie sur le chemin du retour. Chaque année, une procession s’étire jusqu’à la rivière. Le pope balance une croix dans les flots. Les hommes se jettent dans le tumulte pour attraper celle-ci. Le premier à s’en saisir est marqué du sceau du bonheur pour toute l’année. Cette année, c’est notre Petrunya qui s’empare de la relique et refuse de la rendre. Le pope est bien embêté car Dieu ne donne aucune consigne dans ce cas. La communauté des mâles est pleine de fureur car selon eux, seul un homme a le droit à l’année de bonheur. La petite ville se partage en plusieurs camps, les pour, les contre et ceux qui s’en foutent. La présence d’une journaliste féministe donne à l’affaire une dimension nationale, voire internationale. Elle place ce petit village sous le regard du monde. Convoquée au commissariat, Petrunya cédera - ou pas.
Il existe un cinéma macédonien et une jeune réalisatrice prometteuse qui nous offre un premier film percutant et militant. C’est avant tout la figure d’une jeune femme que ses formes ne placent pas en haut de l’affiche. Dans une première partie, on découvre une Petrunya pétillante et pleine de rage prête à vaincre le monde. Elle est en conflit avec sa mère un peu envahissante et prisonnière des traditions. Il n’est donc pas simple pour la pauvre Petrunya de trouver sa place quand peu de gens la soutiennent. La condition féminine ne se retrouve pas non plus au top cinquante des préoccupations. Dans ce contexte, en bousculant les traditions ancestrales, en s’emparant de la croix, elle remet en cause la société. Celle-ci est le symbole d’un pays qui ne se remet pas en question. Le film se joue de l’espace.
Dans une première partie Petrunya avance libre et rebelle avec son amie. Elles sont la Macédoine de demain, comme la journaliste Slavica. Toutes les trois, à leur façon, brisent les archaïsmes dépassés d’un univers qui rechigne à évoluer. La séquence d’embauche est un petit bijou de la double, triple discrimination de l’héroïne, femme, physique, et intellectuelle. En s’emparant de la croix, elle revendique une place entière au sein de la société. La seconde partie est un huis clos dans le commissariat. Les forces de l’ordre, comme leur nom l’indique, ne veulent pas de ce chaos. Le pope, la figure de la religion, est tout aussi démuni. Dieu n’a jamais dit qu’une femme ne pouvait pas conquérir la fameuse croix. On comprend combien ce sont les hommes qui décidaient de tout. Petrunya, face à ses délateurs, offre une résistance non violente. Elle qui n’a jamais rien eu, rejetée de tous, possède aujourd’hui une voix.
C’est une voix à entendre, s’accrochant à la vérité. Elle est dans son bon droit. C’est celui d’exister à sa manière sans subir le poids d’hier. À la fin, croix ou pas, elle aura, dans cette route initiatique, trouvé sa place et sa raison de vivre. Le film repose sur une mise en scène sobre saisissant l’âme de son histoire pour se laisser porter par elle. De la petite silhouette perdue sur le chemin, on termine par des celle d’une jeune fille accomplie s’éloignant seule dans la nuit. Elle peut affronter les ténèbres, elle n’a plus peur et au loin, le soleil commence à percer. Entre les deux, dans le huis clos, c’est le gros plan qui prédomine pour capter la vérité et le mensonge, la manipulation de tous. Le film doit beaucoup à ses actrices, Zorica Nusheva excellente, exceptionnelle, et les autres figures féminines, la copine, la journaliste et la mère, tout aussi fortes et magnifiquement jouées.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus:
Entretien avec Teona Strugar Mitevska (22')
Titre : Dieu existe son nom est Petrunja
Titre original : Gospod postoi, imeto i' e Petrunija
Titre international : God Exists, Her Name Is Petrunija
Réalisation : Teona Strugar Mitevska
Scénario : Teona Strugar Mitevska], Elma Tataragic
Casting : Kirijana Nikoloska
Direction artistique : Zeljka Buric
Costumes : Monika Lorber
Photographie : Virginie Saint-Martin
Montage : Marie-Hélène Dozo
Production : Sébastien Delloye, Marie Dubas, Zdenka Gold, Danijel Hocevar, Elie Meirovitz, Labina Mitevska
Sociétés de production : Deuxième Ligne Films, Entre Chien et Loup, Sister and Brother Mitevski, Spiritus Movens, Vertigo
Sociétés de distribution : Moving Turtle, Trigon-film
Pays d'origine : Macédoine du Nord, Belgique, France, Croatie, Slovénie
Langue : Macédonien
Format : Couleurs - 2,35:1 - DTS / Dolby Digital - 35 mm
Genre : Drame
Durée : 100 minutes (1 h 40)
Dates de sortie en salles : 1er mai 2019
Distribution
Zorica Nusheva : Petrunija
Labina Mitevska : Slavica
Stefan Vujisic : l'officier Darko
Suad Begovski : le prêtre
Simeon Moni Damevski : l'inspecteur-chef Milan
Violeta Sapkovska : Vaska
Petar Mircevski : Stoyan
Andrijana Kolevska : Blagica
Nikola Kumev : l'officier Vasko
Bajrush Mjaku : le procureur
Xhevdet Jashari : Boykan, le cameraman
Vladimir Tuliev : Stefan, le barman