De toutes mes forces

___

Un film de Chad Chenouga ,
Avec Khaled Alouach, Yolande Moreau, Laurent Xu,

Genre : Drame psychologique
Durée : 1h38
France

En Bref

Sa vie n’était ni rose ni noire, juste la sienne. Il avance sans penser au lendemain, juste chaque pas, bout à bout. Il est trop concentré à préserver le petit bonheur qui reste. Tout éclate quand la faucheuse joue les mauvais augures et efface l’ardoise. Elle remet les compteurs du temps à zéro. Il l’avait laissée souriante, titubante comme à son habitude. C’était un jour comme un autre de plus, quand les médicaments l’emportent au pays du bonheur. Juste une journée avec ses potes, à rire, à oublier la maison triste où sa mère, fantôme perdu, erre. Il la retrouvait à terre à la fin du voyage, sans autre jour à la serrer dans ses bras. On ferme le son et l’image pour laisser les parcelles de souvenir vous envahir, quand la terre recouvre tout d’une vie, d’une mère. Elle carburait aux médicaments, une poignée de trop et Nassim se retrouve en foyer.

Cette petite existence sur le fil, un bon lycée, des copains, une fiancée, tout pourrait s’envoler, se disperser dans la tempête. Le foyer, c’est d’autres naufragés comme lui, des enfants perdus sans Peter Pan pour les faire rêver. C’est des cœurs brisés, des larmes, des drames multiples. Il refuse d’abord de s’intégrer, de quitter son monde de petits-bourgeois heureux. Il continue le mirage d’une histoire qu’il ne souhaite pas lâcher. Il prend comme armes le mensonge et l’oubli. La vie n’est pas qu’un songe et elle pourrait bien le rattraper avant que l’horloge ne sonne minuit. Alors la vérité apparaitra dans toute sa sincérité, les fantômes auront le poids des chaines brisées. Il faudra bien qu’il accepte que son monde change et que l’hiver cache la douceur du printemps.

Chad Chenouga utilise sa propre histoire, sans doute une façon inconsciente, afin « d’exorciser le passé » comme il nous le dit dans l’interview. C’est son deuxième long métrage s’inspirant de sa vie pour en faire une fiction sensible. C’est le parcours d’un jeune homme refusant de perdre ce bonheur construit en enfer. Quand sa mère meurt, Nassim voit d’abord tous ses espoirs d’une vie normale éclater. Il refuse d’accepter que la réalité lui échappe et il se réfugie dans le mensonge. Il occulte le foyer pour raconter un vague oncle qui le recueille. Il oppose cette vie souhaitée, rêvée qui ne se fera pas à celle du foyer. Dans un premier temps, il se réfugie dans le silence. C’est une manière de nier l’évidence, de refuser la voie du destin qui s’annonce

. De toutes mes forces est un film initiatique sur un jeune garçon aveugle et niant la mort, qui finit par comprendre et donner un sens à sa vie. Le voilà perdu dans la foule du monde, errant sans le savoir. Il possède cette impression qu’il tient encore le lien de l’histoire. Qu’il l’écrit sur le fond de la douleur pour lui donner des couleurs d’azur infini ! Ce lieu qu’il imagine comme une prison, une régression, se découvre peu à peu comme le seul moyen de relever la tête et de sourire. Le jeune Khaled Alouach prend son rôle à cœur et lui donne tout le relief, entre tristesse et espérance. Yolande Moreau est, comme à son habitude, parfaite en directrice mère. La galerie des seconds rôles ne dénote pas et montre un choix juste renforçant la narration. C’est au contact de ces vies dissolues, parfois plus douloureuses que la sienne, qu’il prend conscience qu’il n’est pas unique.

Tous ces enfants exposent l’abandon du monde, entre celle se noyant dans les études ou l’autre dans le sexe. Il se raccroche à des riens, des moments d’hier ou de demain pour tenter de passer la tempête d’une vie où l’insouciance n’a pas sa place. Ces cœurs brisés sont en partie ceux que Chad Chenouga croisa dans les foyers de son enfance. Il leur donne vie avec ce film. Lorsque Nassim acceptera cet automne, il pourra enfin voir au loin se profiler l’été plein de promesses. La vie se construit à travers les drames que nous traversons et qui nous laissent toujours debout. La mise en scène est sobre, proche du documentaire, saisissant l’essentiel comme un regard, un geste de fureur, un souffle, des rires et des pleurs sans les trahir. Avec ce deuxième long métrage, il s’inscrit dans des pistes nouvelles du cinéma français, à suivre de près.

Patrick Van Langhenhoven