D’abord il y a la rage sourde remuant dans sa cage, prête à exploser. Puis il y a le fils qui aimerait tant un « je t’aime » qui ne vient pas. Le père, hargneux, balance entre haine et amour, sans jamais oser accoucher du mot béni. Depuis la mort de la mère, ils sont en éternel conflit. Comment ne pas rêver une autre vie quand on ne possède pour horizon que les tours des HLM et peu de perspectives. Il reste les concerts où le fiston anone sous la musique hard toute sa colère enfouie. Plus le temps s’écoule, plus ils s’éloignent l’un de l’autre sans que rien ne les rapproche un jour. Le fils reproche au père ses rêves perdus, le père reproche au fils ses rêves absurdes.
Un jour, la colère, les non-dits éclateront comme un orage perceptible à l’horizon. L’arrivée de Julia, la nouvelle copine du père, ramènera peut-être de la douceur et de la parole. Le monde bascule quand la belle-mère en pince pour le petit. Les relations houleuses ou les « je t’aime » s’estompent dans le vent du soir comme un murmure fantomatique et finiront par ouvrir les bras à la tempête. Elle gronde et finit par exploser, fracassant les rochers des espérances, recomposant le paysage. Il ne reste que le départ pour poser l’absence comme unique phare à l’horizon pour les navires égarés. Des « je t’aime », le père n’en a pas.
Premier long métrage d’un jeune réalisateur prometteur, malgré ses faiblesses de narration Compte tes blessures ne manque pas d’ambition. Il teste son projet à travers des courts métrages où la musique tonitruante devient le centre du récit. Le film économise la parole, joue du silence et des chants éructés, comme pour s’émanciper de la violence intérieure. C’est de nouveau la présence d’une femme qui fait éclater les non-dits. De la mère morte d’un cancer, nous ne saurons rien. Nous comprendrons qu’elle devait être le tampon entre ce père et son fils né trop tôt. Je l’ai eu à dix-neuf ans, j’étais trop jeune, avoue le père à Julia. On lorgne vers A l’est d’Eden et ses rapports houleux père fils portés par toute une génération et James Dean en étendard d’une jeunesse avide d’amour.
C’est le conflit de deux générations qui ne se comprennent plus ou ne se sont jamais comprises. La mise en scène est sobre sans chercher à jouer la carte de l’esbroufe. Elle trouve même parfois des moments inspirés comme la séquence finale où le langage devient inutile. Il est dommage que parfois le non-dit ne clarifie pas assez les fractures ou que certains moments de colère semblent de trop. Dans l’ensemble, le récit tient la route et déploie ses voiles pour emmener le navire vers une fin surprenante. Nous sommes plus proches de la réalité d’une vie futile qui finit par ne porter d’espérance que dans la fuite et l’oubli. C’est donc un premier pas prometteur qui devra s’affranchir de petits défauts pour voguer vers l’horizon et se perdre dans le soleil couchant au cœur des étoiles.
Patrick Van Langhenhoven
Titre : Compte tes blessures
Titre international : A Taste Of Ink
Réalisation : Morgan Simon
Scénario : Morgan Simon
Directeur de la photographie : Julien Poupard
Son : Mathieu Villien
Musique : Julien Krug, Selim Aymard
Montage : Marie Loustalot
Directrice de casting : Youna de Peretti
1er Assistant à la réalisation : Pierrick Vautier
Scripte : Claire Dumaze
Décors : Marion Burger
Costumes : Ariane Daurat
Montage son : Rym Debbarh-Mounir, Hélène Thabouret
Mixage : Samuel Aïchoun
Régie générale : Louis Lemoine
Direction de production : Pierre Delaunay
Consultante scénario : Julia Ducournau
Production
Producteur délégué : Jean-Christophe Reymond et Amaury Ovise
Production déléguée : Kazak Productions
Distribution : Rezo Films
Durée : 1h20
Pays d'origine : Drapeau de la France France
Langue originale : Français
Format : Couleurs - Scope - Son Dolby SRD
Genre : Drame
Dates de sortie : 25 janvier 2017
Distribution
Kévin Azaïs : Vincent
Monia Chokri : Julia
Nathan Willcocks : Hervé
Julien Krug : Matthew
Selim Aymard : Zachary
Cédric Laban : Ruddy
Récompenses
2016 : Mention spéciale du jury au Festival de San Sebastián, section New Directors
2016 : Prix du meilleur acteur pour Kévin Azaïs au Festival de Stockholm et au Festival international de Saint-Jean-de-Luz
2016 : Prix de la jeunesse au Festival international de Saint-Jean-de-Luz
2016 : Prix du meilleur réalisateur et prix de la jeunesse au Tofifest Film Festival
2016 : Prix de la jeunesse franco-allemande au Festival de Braunschweig
2014 : Prix du jury lors du Grand prix du meilleur scénariste