Certains traversent leur vie comme des fantômes, petites silhouettes anonymes sans effroi. Jacques Blanchot est de ceux-là. Il passe, se glisse dans le décor pour finir par disparaître. Son existence ne vaut peut-être pas grand-chose, il est juste une plume légère sur la fenêtre prête à s’envoler. Hélène, sa femme, ne le supporte plus. Il lui colle de l’urticaire et d’autres petites misères, une maladie rare la « Blanchot ». Quant à son fils, il souhaite un chien, et le reste, il ne s’en encombre point. C’est ainsi que Jacques, dans cette fable moderne, se retrouve à la rue l’âme nue, le cœur brisé et sans famille. Il adopte un petit chiot qu’il paye plus que son coût, à l’escroc de l’animalerie. Leur histoire d’amour avec la petite bête ne dure pas longtemps, les fantômes s’occupent mal des vivants. Dans la foulée, son patron le renvoie pour faute grave. C’est ainsi qu’il se retrouve, quand sa vie bascule, au cours de dressage pour chiens. C’est ainsi que la morale de notre histoire prend son envol, dans un voyage surréaliste, quand un homme se métamorphose en autre chose qu’un cafard.
« Quand j’ai écrit le livre, j’avais l’image de Chuck Norris en tête : cette figure angoissante d’un homme sûr de son fait et qui n’en démordra jamais. En l’occurrence, ce dresseur déçu par les hommes — et sans doute encore plus par les femmes — ne jure que par les animaux et l’autorité violente qu’il exerce sur eux. Il parle des bêtes comme il pense aux hommes. Physiquement, Jean-Claude me paraissait parfaitement correspondre à ce que j’avais en tête. Mais j’ai assez vite compris qu’on n’avait pas la même vision des choses. Je ne sais pas s’il avait vraiment compris le film que je voulais faire, et les moyens financiers dont je disposais !! On s’est donc séparé à l’amiable. » — Samuel Benchetrit
C’est ainsi que nous avons perdu Jean-Claude Van Damme pour gagner un meilleur prétendant, Bouli Lanners. C’est un peu de blues, La Métamorphose de Kafka et la vie qui sont à l’origine de Chien. Il confronte un personnage effacé, perdu, Jacques, à un type ne voyant le monde que par le pouvoir et la violence qu’il exerce sur lui. « Le chien est un soldat. Un chien qui ne reçoit pas d’ordres est un chien dépressif et suicidaire. » Le tout est pris dans les méandres d’un cinéma surréaliste, dans la lignée du cinéma belge d’aujourd’hui. Il peut décontenancer par son approche si on la prend au premier degré et autre chose qu’un conte, une fable moderne. Conte de vie d’un individu qui ne possède même plus le sens de son existence et qui finit par perdre son propre chemin. Il s’égare dans les bois, vieille souche éclatée comme cette vision qui revient comme un chant funèbre. C’est la longue descente d’un humain finissant par se comporter comme un chien et trouver le sens de son passage sur terre. Il retrouve ce qu’il avait perdu, bouclant le cercle de l’impossible amour.
On ne le supportait plus en homme, on l’adore en chien. Le film pose des questions bien plus profondes comme : est-ce un homme qui se rêve en chien ou un chien qui s’imagine en homme ? Jacques est-il conscient de sa nouvelle nature ? Est-ce un jeu pour mieux revenir dans le cercle de la famille qui l’a chassé ? Il nous interroge aussi sur cette vie que l’on traverse parfois comme une ombre, et la violence et la douceur. La mise en scène bascule peu à peu dans le surréalisme cher à André Breton et compagnie. Elle se pare parfois d’un bel onirisme, notamment sur la fin où l’homme chien raconte sa vie de chien. Il inverse l’anthropomorphisme dans une vision humanisme du point de vue de l’animal dans le duo de choc Vincent Macaigne, Bouli Lanners excellent, avec un exercice plus difficile pour le premier.
Nous faire croire à sa vie de chien. Chien est un film qui ne manque pas de mordant et nous ramène à l’essentiel. C’est le genre de film qui, à chaque lecture, nous ouvre d’autres pistes à saisir. Vous trouverez dans les bonus plusieurs commentaires de Samuel Benchetrit sur le film et les acteurs qui vous permettront de mieux comprendre le cheminement de la création et sa profondeur. Je terminerai en vous laissant méditer sur ce kôan zen qui correspond parfaitement au film. Un jour un bonze a demandé à Jôshû : Un chien a-t-il, lui aussi, la Nature-de-Bouddha ? Alors Jôshû a répondu : "MU". « Un chien a-t-il ou non la nature de Bouddha ? ».
Patrick Van Langhenhoven
Bonus:
Commentaire audio de Vanessa Paradis et Samuel Benchetrit
Interviews exclusives de Vanessa Paradis, Vincent Macaigne et Samuel Benchetrit (du livre au film)
Teasers et bandes annonces
Titre français : Chien
Réalisation : Samuel Benchetrit
Scénario : Samuel Benchetrit et Gábor Rassov, d’après le roman éponyme de Samuel Benchetrit
Décors : Hubert Pouille
Costumes : Mimi Lempicka
Photographie : Guillaume Deffontaines
Montage : Thomas Fernandez
Musique : Richard Reed Parry1
Production : Marie Savare
Société de production : Single Man Productions ; UMedia Productions (coproduction)
Société de distribution : Paradis Films
Pays d'origine : France, Belgique
Langue originale : français
Format : couleur
Genre : comédie dramatique
Durée : 90 minutes
Dates de sortie : 14 mars 2018 (sortie nationale)
Dates Sorties Vidéo : 18 juillet 2018
Distribution
Vincent Macaigne : Jacques Blanchot
Bouli Lanners : Max
Vanessa Paradis : Hélène
Olivier Bisback : Homme Puma
Tom Canivet
Thibaut Pira Van Overeem