On se retrouve seul au bord du gouffre des silences et des non-dits, des promesses non tenues que le temps façonne quand il ne reste que l’habitude et qu’elle nous joue des tours, abandonnant le bonheur pour la douleur. Elle est partie. Il reste avec ses deux filles. Il tente de s’en sortir, de porter le peu du foyer qui demeure. La mère reconstruit sa vie, elle ne reviendra pas. Elle est ailleurs, voguant vers d’autres horizons, sans lui. À qui en vouloir ? Qui est fautif ? Qui porte la douleur et l’autre la croix ? La plus jeune se cherche, explore les pistes qui la conduiront dans sa vie d’adulte. La plus grande consolide ses choix, se révolte contre sa mère devenue la mauvaise. Chacun se meurt dans ce chaos, cherchant la lumière qui ne viendra peut-être pas. Il essaye encore de croire en un retour possible. Mario se débat, tente de tenir dans la tempête, espérant qu’elle ne brisera pas le navire.
Est-ce qu’il n’est pas trop tard pour espérer de nouveau ?
« Nos enfants seront plus beaux et plus heureux que nous » Mario
C’est ça l’amour arrive après Party Girl, réalisation partagée avec Samuel Theis et Marie Amachoukeli. C’était un regard sur la mère de Samuel Theis, déjà dans le décor de Forbach. Le film obtient en 2014 à Cannes, la convoitée Caméra d’or et le César du meilleur premier film, et montage. C’est au tour du père d’être le centre du récit. Claire Burger s’inspire de sa propre histoire et de celle de son père. Party Girl était une ode à la liberté, le second est plus un enfermement. C’est un père prisonnier d’une situation qu’il n’a pas vue venir. Il n’y a pas de coupable ni de vainqueur dans ce jeu des cœurs à deux qui s’égrène au vent des habitudes. Elle bâtit son film sur le même principe d’une caméra minimaliste explorant la détresse du quotidien. Boulil Lanners demeure émouvant, seul acteur professionnel au milieu de ces non-comédiens jouant une partition de la vie.
Chacun reste à sa place, la mère et les deux filles criantes de vérité dans des rôles de composition. C’est bien un morceau d’existence déroulant sa trame autour d’un père maladroit mais aimant. Comment assurer ce moment de passage, de transformation avec délicatesse sans se tromper ? Il est démuni, face aux premiers émois amoureux, au choix de la sexualité de la plus petite. Quel exemple donner quand le cœur se meurt d’amour, s’égare, bousculé par les sentiments ? La réconciliation, l’acceptation, passe par la drogue, mais est-ce que ce n’est pas qu’une illusion, un mirage ? C’est fuir la réalité. Quand elle reviendra, son visage n’aura pas changé. La visite d’une expo photo floue renvoie à cette famille dans le vague qui perd la consistance du paysage. La morale, c’est peut-être qu’abandonner, c’est aimer.
Dans le chaos et dans l’absolue tristesse, on finit par trouver la lumière pour se reconstruire quand vient le néant. La caméra reste délicate et discrète, évitant le voyeurisme et le misérabilisme. Elle saisit avec justesse un regard, un geste, un mot oublié résonnant dans cette tragédie des gens simples. À la fin, la réalisatrice aura du mal à quitter la scène et abandonner ses personnages. Il est parfois bon de rester sur une image. Le plus n’est pas forcément le mieux. Dans l’ensemble, elle confirme la promesse d’un cinéma d’auteur transcendant les histoires du quotidien en parole universelle.
Patrick Van Langhenhoven
Titre : C'est ça l'amour
Réalisation : Claire Burger
Scénario : Claire Burger
Photographie : Julien Poupard
Montage : Claire Burger, Laurent Sénéchal
Décors : Arnaud Dias
Costumes : Isabelle Pannetier
Musique : Paolo Conté "Max"
Direction artistique : Pascale Consigny
Production : Isabelle Madelaine
Sociétés de production : Dharamsala, Arte France Cinéma
Société de distribution : Mars Films
Pays d'origine : France
Genre : drame
Durée : 98'
Dates de sortie : 27 mars 2019
Distribution
Bouli Lanners : Mario
Justine Lacroix : Frida
Sarah Henochsberg : Niki
Cécile Remy-Boutang : Armelle
Antonia Buresi : Antonia
Tiago Gandra : Tiago
Lorenzo Demanget : Nazim
Gaëtan Terrana : Tony
Célia Mayer : Alex
Yasmina Douair : Nadia