Ils pensaient rejoindre le nouveau paradis, se construire une petite vie tranquille, sans accroc. Il est vénézuélien. Elle est espagnole. La cohabitation pourrait sembler facile au pays de Don Quichotte mais les parents ont du mal à accepter ce nouveau gendre. Ils décident de quitter Barcelone pour les Etats-Unis, terre d’accueil depuis les Pères fondateurs du Mayflower. Il sera toujours plus facile pour ce jeune couple de trouver sa place en Amérique qu’en Espagne. Ils vont découvrir, lors d’un interrogatoire musclé moralement, que le paradis pourrait bien être l’enfer.
Border Line est un huis clos mental infernal qui déploie sa trame de suspicion, de complotisme comme dans Reality de Tina Satter. Les sujets sont différents mais le traitement des individus reste le même. Il y a ce poids de la machine d’Etat qui veut bien faire et ignore son arrogance et son harcèlement limite. Arrivés à l’aéroport, Diego et Elena pensent à un simple contrôle de routine. Ils ignorent qu’ils pénètrent au cœur d'un étau qui se resserre comme les pièges des temples mayas. Peu à peu l’ordinaire bascule dans un jeu de questions-réponses kafkaïennes relevant de la paranoïa. Est-ce que cette crainte remonte au 11 septembre, traumatisme profond de l’Amérique ou était-il déjà en place à la naissance d’une nation ? La peur de l’autre, de l’étranger, conduit à un jeu échappant aux Européens, mais qui semble normal pour les Américains.
Les deux réalisateurs maintiennent une tension constante à travers les échanges entre les deux candidats à l’émigration et les forces de l’ordre. Tout se joue dans un réduit qui étouffe la parole de Diego et Elena et renforce la part sombre des policiers. C’est une partie de go subtile qui tient à peu de choses et s’appuie souvent sur un regard, un geste, un jeu d’acteur minimal, animal. Il n’existe plus de « rêve américain » mais un cauchemar et une société qui s’éloigne de plus en plus de ses valeurs profondes. Border Line renoue avec le cinéma des années 60 -70 qui n’hésitait pas à fustiger les travers d’une Amérique qui nous faisait rêver. Pour finir, quand on demande à Alejandro Rojas si le film est politique, voici sa réponse :
« Le film est donc politique car le simple fait de choisir de raconter cette histoire l’est. Il parle des dynamiques de pouvoir, du harcèlement, des problèmes d’autorité, des endroits où vous pouvez soudain vous sentir extrêmement vulnérable selon vos origines, la méfiance que nourrissent certains envers vous selon ces mêmes origines. Border Line est absolument politique mais il ne pouvait pas être uniquement politique. Il était crucial que le spectateur soit impliqué émotionnellement. » Border Line est un film remarquable qui se savoure non seulement pour ses dialogues inspirés de la réalité, mais aussi pour son image qui a creusé dans le détail des regards, des gestes et des non-dits. Cette pièce devient le symbole d’un enfermement, aussi bien des victimes que des bourreaux.
Patrick Van Langhenhoven
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